LA CÉLÉBRATION POUR SA MORT

Paris, Église Saint Joseph des Carmes 75006, 3 septembre 2015

 

Marie-Odile Métral-Stiker

église Saint Joseph des Carmes, jeudi 3 septembre 2015
Aux participants de notre assemblée. Voici l’exergue à une longue prière composée par Marie-Odile devant l’énigme de la Croix.

Notre célébration tente de refléter les étapes et les facettes de sa pensée et de sa spiritualité.

Histoire du désir d’un je ne sais quoi d’immense et d’infime

-à Stanislas-Paul Breton †, mon vieil homme préféré,

guide dans mes questions et dans l’abandon de quelques unes,

vers le non-savoir qui précède tout savoir, 

-à mon bien aimé compagnon d’aventure,

Henri-Jacques

-à Bernard Feillet,

 -à ceux qui vivent avec saint Jean de la Croix,

-Aux Passionnistes et aux passionnés,

-à ceux qui disent la prière à Jésus,

-à mes amis qui dans l’exercice de la douce distance m’ont aidée

-à ne jamais me perdre pour toute la beauté

 

  

Eucharistie pour Marie-Odile

Orgue pendant l’entrée de Marie-Odile, portée par des amis et Charles-Olivier

 

Mot de Jérôme de Gramont, doyen de la Faculté de philosophie de l’Institut Catholique

 

Marie-Odile Métral était une proche de la Faculté de philosophie par d’autres liens que le fait d’avoir été une ancienne étudiante ou d’y avoir enseigné. Elle était proche du Père Breton qui, lui, y fut un grand professeur, et un peu plus qu’un professeur, un authentique penseur. Elle connaissait l’homme de cette vraie connaissance qu’est l’amitié, et l’œuvre comme bien peu peuvent dire qu’ils la connaissent – jusqu’à devenir l’infatigable présidente de l’Association des amis de Breton, et ce n’était certes pas par plaisir de collectionner les titres. Philosophe de formation, psychanalyste d’exercice, elle pensait à la manière de Breton, mais comme cette pensée était libre elle n’avait rien perdu de sa personnalité, tous ses proches témoigneront. C’est là le privilège des vrais maîtres et des vrais élèves.

Breton, prêtre passioniste, a médité sa vie entière la Passion et la Croix. Marie-Odile l’aura médité à son tour, jusqu’à vivre dans ses derniers mois cette pauvreté du corps, cette faiblesse de tout l’être qui a nom la maladie. Comment reconnaître dans la faiblesse et dans toutes les figures de la pauvreté celui que nous appelons le Verbe ? Peut-être fallait-il pour cela une vertu qui n’est ni cardinale ni théologale, une vertu peu célébrée par les philosophes ou les théologiens, et pourtant si nécessaire, l’humour, cette vertu du contretemps. Dieu ne manque pas d’humour, et ce n’est pas effacer le sérieux de la Croix que de le rappeler. Marie-Odile l’aura fait bien des fois.

Une anecdote suffira, assez récente. Nous devions écrire quelques préfaces pour trois petits volumes d’inédits de Breton aujourd’hui sous presse. Marie-Odile commente librement les trois volumes, dont celui que je devais présenter, s’aperçoit de mon hésitation ou ma surprise, et ajoute à mon attention : « Comment, vous qui êtes professeur de métaphysique vous n’avez pas vu que le thème du recueil c’était Dieu-comédien ! » Eh bien non, je n’avais pas vu, je n’avais pas lu non plus ce mot de « comédien » qui n’apparaît d’ailleurs nulle part dans les pages que je devais préfacer. Ce soir-là je me suis senti comme un collégien qui avait confondu un nominatif et un accusatif, et commis un contresens monstrueux dont il serait honteux pour au moins dix ou vingt ans. Et pourtant, cette idée d’un Dieu comédien, doué d’un incroyable humour, et capable de prendre tous les rôles, à commencer par les plus humbles et les plus inattendus, était un des thèmes de prédilection de Marie-Odile. Un peu comme un post-scriptum au jugement dernier et au grand récit de Matthieu 25 : « Comment Seigneur, quel jour nous t’avons vu jouer ce rôle ? »

Quel jour ? Aujourd’hui où nous ne l’attendions pas, mais où il s’est fait pauvre et présent. Il est heureux qu’au jour du jugement dernier, ce jour qui paraît si terrible, ou aujourd’hui, ce jour pour nous si triste, il y ait place pour un rire, un sourire, un peu d’humour.

 

 

Mot de Frédérique Zahnd

 

Chaleureuse… perspicace… espiègle… anxieuse… profonde… curieuse… mystique… sociable… attentionnée… pétillante… philosophe… généreuse… intimidante… rigolote… inventive : voilà ce que vous m’avez répondu quand je vous ai demandé de caractériser Marie-Odile en un mot. Pour finir quelqu’un m’a dit : « Inclassable ! » Dans la profusion de ta personnalité j’ai choisi trois traits pour t’évoquer, toi, la Marie-Odile que je connais.

 

D’abord, le souci d’autrui.

Le jour où tu m’as montré comment organiser mon propre mariage, tu m’as lâché en passant cette perle : «  Moi la petite famille repliée sur elle-même, ça m’intéresse pas… ».  Et depuis je n’ai cessé de te voir soutenir les projets des autres. Comme on l’a dit avec Anne-Marie avant-hier : «  Tout le monde comptait sur toi ». Bien sûr il y a eu d’abord ce dévouement définitif envers ta mère. Mais tu avais cette faculté de créer du lien, d’entrer en familiarité avec les autres, parlant la première, te confiant spontanément, ce qui faisait rire tes enfants mais qui donnait aux autres envie de se confier. Tu disais «  Le seul vrai péché, c’est de rater la rencontre. » Et aujourd’hui encore, sentant le trac que j’avais d’écrire ce petit mot, tu m’as soufflé comme tu le disais parfois « Assez bien, c’est très bien ! » Je te revois avec Breton, n’oubliant aucun de ses anniversaires le 2 juin, et lui content comme un enfant de trouver la chemise à col Mao toute chic que tu lui offrais régulièrement. Je te revois traverser le jardin de Thomery jusque sous les marronniers avec un splendide cheval de bois rescapé de la boutique, que tu portais à bout de bras, en annonçant bien haut «  Pour Célestine ! » Je te revois surtout préparant  ces grandes tablées qui nous réunissaient, ces buffets débordants, cinq entrées, un rosbeef, du gigot, un chaud-froid de volaille avec des petits légumes, un brie tout entier, et les desserts, et des glaces, «  Mais on a fait un poulet rôti pour les enfants… » Tu donnais un place à chacun, au théologien distingué comme à l’immigré, aux vieilles dames comme aux petits enfants. Tu disais «  Quand quelqu’un est dans la merde, il faut l’aider. » Oui tu savais, sans doute depuis que tu étais petite fille, susciter la vie autour de toi, et la ressusciter parfois. Mais ta bonté n’avait rien d’une bonté niaise, qui n’aurait pas vu l’ambivalence, le danger inhérent à toute relation. C’était «  une bonté renseignée » comme disait Bernanos. Car le second trait que j’évoquerai chez toi, après le souci d’autrui, c’est l’angoisse.

 

L’angoisse qui te faisait perdre ta légèreté, qui pouvait t’immobiliser, te pétrifier. Je l’ai vue s’attaquer à toi à plusieurs reprises, lors de la maladie de tes proches, après le cambriolage de Thomery, après l’accident de voiture des enfants… Elle est revenue pendant ce long calvaire que vous avez vécu Henri-Jacques et toi depuis un an et demi ; tu disais : « J’ai eu la visite de Thanatos… Une descente aux enfers… » Mais si elle a été une compagne fidèle, tu as su t’en défendre et t’en délier aussi puisque ce qui nous a vraiment rapprochées c’est la découverte émerveillée de la psychanalyse, des prodigieuses ressources du rêve, du plaisir de l’interprétation, du dévoilement saisissant de ce qu’on savait déjà. Tu as expérimenté cette délivrance quand on découvre un visage tout neuf de la même réalité. Oui, cette plongée dans les profondeurs t’a psychiquement et même physiquement métamorphosée. On t’a vue changer d’allure, plaire, te plaire, te faire plaisir. Puis cette étrange relation du patient avec son analyste t’a amenée très vite, avec évidence, à celle de l’analyste avec ses patients. Et en effet le dernier trait auquel je veux rendre hommage chez toi, c’est la créativité.

 

Une créativité prodigieuse qui s’exerçait à tous les étages de l’existence. Dans ton couple d’abord, puisque comme disait ton analyste «  Il fallait aller le décrocher celui-là ! » Cet amour aristocratique que vous avez construit avec Henri-Jacques, dix ans de fiançailles et toute une vie de dialogue, de patience et d’audace, de projets, de complicité, d’inventivité, de respect, de rires… Vous avez vécu en bonne intelligence. Dans la famille ensuite : pour occuper les vieilles dames et amuser les enfants, tu transformes par exemple en magasin de jouets la boutique de ton père,  La Cuisine de mes rêves,  qui deviendra plus tard, par une merveilleuse coïncidence poétique, ton cabinet de psychanalyste. Dans ton travail en maison de retraite où tu imagines d’utiliser entre autres les ressources de la poésie, dans ton cabinet où tu as été habitée, passionnée par tes patients ; quand la chirurgienne t’a annoncé la gravité de ton état, tu as dit « Non, je ne peux pas être hospitalisée, je dois voir mes patients. » Elle a sauté sur sa chaise : « Alors vous, vous êtes incroyable ! » Je devine que dans le secret de ton cabinet aussi, tu as été une inventeuse de solutions. De même dans ta spiritualité, tu as emprunté de préférence des chemins peu fréquentés, choisissant tes lectures, inventant des rituels. Tu l’as été dans ton écriture, où tu as pratiqué la prière comme l’article académique, la préface à la Vie de Pascal ou aux inédits de Breton, qui est aussi une manière d’autoportrait.

 

Tu avais un regret du côté de l’écriture. Mais faut dire de toi ce que tu me disais il y a quelques années de Marie-Aurore : «  Tu comprends, comme beaucoup de femmes, elle a des désirs contradictoires… » Et si à la fin de l’étape on doit, comme c’est écrit, rendre compte de ses talents, Marie-Odile, bien peu d’entre nous pourrons témoigner d’une telle fécondité.

 

 

Arthur et Colombe Stiker déposent la lumière auprès de

Marie-Odile

 

Chant par la chorale des amis artistes du choral final de la cantate de J.S. Bach, BWV78, Jesus, der du meine Seele

 

 

 

Mot de Bernard Feillet

Tout être est un mystère, et plus ceux que nous avons aimés sont entrés dans  le grand mystère de leur mort, plus ils habitent notre vie et plus ils échappent à l’aventure de leur destin. Nous osons à peine nous demander ce qu’ils sont devenus de peur d’être confrontés à notre ignorance et plus nous désirons maintenir avec eux la profondeur de notre relation dans l’émotion de l’évocation de leur présence.

Nous avons peur d’être confronté à leur éternité, pour ne pas perdre le souvenir de leur présence et nous leur demandons de continuer à nous accompagner malgré le mystère qui entoure leur disparition. La vie éternelle elle-même est une évocation à double tranchant dans la confrontation permanente de leur absence.

Il nous appartient de continuer à vivre dans notre destinée temporelle. Ainsi la mort nous provoque à vivre. C’est ainsi que le souvenir devient créateur du présent. C’est l’hommage que nous rendons à la présence créatrice de ceux qui sont morts : à nous de poursuivre à vivre.

Croire en l’éternité pour accomplir le présent. Et vivre ainsi de l’étonnement d’être. Alors le souvenir des morts est créateur du présent. Il nous dit simplement avec une certaine insolence : continuez à vivre. Et sans doute la tâche des enfants est de le rappeler aux anciens.
Et qu’ainsi l’évocation de Dieu ne soit pas au service de l’éternité, mais du présent.

 

 

Commencement de l’eucharistie par Frère Olivier Rousseau

 

Kyrie par l’assemblée (chantre : Frère Jacques-Paul)

 

Lecture : Lettre aux Philippiens  2, 5-11

lue par Soeur Dominique Larcade

 

Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ

 

Lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.

Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur,

devenant semblable aux hommes, et reconnu à son aspect comme un homme,

Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.

C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,

Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux sur la terre et sous la terre,

Et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père.

 

 

Chant : du psaume 21 par la chorale : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné… »

 

 

Moment poétique :

Poème de Bernard Sesé, dédié à Marie-Odile,

lu par Sylvie Sesé-Léger

 

COMPOSITION ABSTRAITE

 

Algèbre des couleurs par les soirées d’été,

Les arbres des forêts lointaines et la terre brûlée.

 

Le vert accueille le désir,

La sève déconcerte les cris des oiseaux.

 

Bleu violent de la fenêtre et son ruissellement

Sur l’ocre jaune et sa romance pure.

 

Nulle brise ne berce les rayons du soleil,

L’ombre invisible sous l’azur.

 

Des lignes, quatre cercles, rondes des astres bleus,

Géométrie abstraite. Rêves de la pensée dans l’immense creuset

 

Des cercles désertés et des vastes chimères,

Lançant à l’infini une vague de rien.

 

L’espace est ingénu et l’horizon s’enfuit

Partout et nulle part.

 

Et la fièvre est brûlante au coeur de la rivière

Où l’automne murmure.

 

La nuit jette ses bras dormants dans le sommeil,

Se perd dans l’extase d’une source qui pleure.

 

Aleksander Rodtchenko, Composition abstraite, Huile sur toile, vers 1919

 

 

 

Poème de Charles-Olivier Stiker-Metral,

lu par Adélaïde Bon

 

Que tout soit dit

Que les oiseaux s’envolent

 

S’il faut laisser des traces

qu’elles soient de celles

qui exerceront

la patience des éclaireurs

 

Lecture : évangile selon Matthieu 25, 31-40

 

Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire.

Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres.

Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche.

Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, les bénits de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde.

Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison et vous êtes venus à moi. »

Alors les justes lui répondront : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire?

Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ?

Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi ? »

Et le roi leur répondra : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! »

 

Homélie : Frère Olivier Rousseau

 

« Ayez entre vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus. » Paul introduit ainsi la citation d’une hymne liturgique qui présente le mystère du Christ de la manière la plus vertigineuse qui soit. Comment est-il assez fou ou assez inconscient pour faire une telle exhortation ? Comment peut-il donner comme modèle aux chrétiens de Philippe l’anéantissement du Fils de Dieu en notre condition humaine et cela jusqu’à la mort de la Croix ? Il ne peut s’agir ici d’un enseignement moral, tant cela excède les exigences les plus hautes de la justice, mais aussi toute compréhension et tout pouvoir humain.

Avec cette étonnante hymne chrétienne, Paul oriente avant tout les Philippiens vers le mystère du Christ : le Fils n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Dieu lui-même a voulu s’identifier à notre humanité en cet homme Jésus condamné à une mort d’esclave. L’abîme de l’Amour se dit dans le langage d’une inconcevable humilité. Entendre cette parole de Dieu en notre humanité, c’est comprendre combien l’humilité dans nos relations humaines est l’expression ultime de l’amour.

Les dispositions qui sont dans le Christ Jésus nous rejoignent ainsi à travers ce chemin inouï de Dieu vers l’homme. Elles sont comme la vibration de l’émotion divine en cette existence concrètement livrée. Dieu est émotion infinie, amour absolument libre de se donner entièrement. Cette émotion en Christ a goût de vie éternelle dans la résurrection de cet homme mort pour tous. Lorsque la rencontre du Crucifié en l’homme souffrant devient une expérience de foi, elle éveille à la compassion de Dieu pour les plus démunis.

            Cependant, des hommes, des femmes vivent aussi cette émotion sans nécessairement l’expliciter avec le langage de la foi. Un appel intérieur les pousse à la rencontre de l’autre le plus éloigné. Sortant d’eux-mêmes, ils se laissent entraîner là où l’humanité de l’homme est particulièrement menacée par la pauvreté, la maladie, l’exclusion ou l’exil. Ils perçoivent en la précarité de la personne humaine quelque chose d’une dignité divine. Tel est en définitive l’unique chemin vers Dieu, puisque sa prédilection est pour les plus pauvres.

Notre sœur Marie-Odile s’est engagée avec énergie dans cette rencontre de l’autre jusqu’en sa précarité. Avec son étonnante capacité d’attention à la personne, elle fut extrêmement sensible à l’indicible de toute parole humaine en son indigence même. Entourée par les siens jusqu’au terme d’une éprouvante maladie qui la conduisit au plus grand dépouillement, elle peut à présent s’abandonner dans la paix et la joie à celui qu’elle a cherché en toute humanité, lui qui accomplit désormais son indicible désir.

 

 

 

Offrande : Poème de saint Jean de la Croix, musique : J. Gelineau,

chanté par les Frères Jacques-Paul et Gérard, sur fond d’orgue

 

LA COMPLAINTE DU PASTOUREAU

 

Un pastoureau esseulé, s’en va peiné. Il n’est plus pour lui ni plaisir, ni liesse, car il songe à sa pastourelle sans cesse, le cœur d’amour tout navré.

Il ne pleure pas que l’amour l’ait blessé. D’être ainsi dolent, là n’est point sa douleur, bien que sa douleur lui poigne le cœur. Mais il pleure en pensant qu’il est oublié.

Or, à ce seul penser qu’il est oublié de sa belle pastourelle, en grande peine, il se laisse outrager en terre lointaine, le cœur d’amour tout navré.

« Las, dit le pastour, à celui malchance Qui loin de son cœur mon amour a chassé, à qui ne veut plus jouir de ma présence, Et m’a laissé le cœur d’amour tout navré. »

Puis, longtemps après, lentement il monta sur un arbre où il étendit ses beaux bras. Et il mourut, par eux toujours attaché, le cœur d’amour tout navré.

 

Prière eucharistique

 

Sanctus, chanté

 

Notre père, récité

 

Agnus Dei, chanté

 

Communion : texte de Marie-Odile

lu par Geneviève Piot Mayol, sur fond d’orgue

 

Toi l’Immense

Verbe

Parole éternelle

En qui tout devenir se déploie

De Bonté continuée

 

Tu t’es fait tout petit

Toi l’Infime

En Jésus, Infans

 

Et plus petit encore et encore plus petit

Toi l’Infime

Brise de légèreté

Baiser qui nous visite

Solitaire et unique

Ravissant le non-être

De tendresse continuée

Eclat de toute brillance

Eclair dans toute nuit

Inutile beauté

Dans l’ombre entraperçue

 

A l’intime de moi-même

Intérieur de misère

Dont tu fais

Pour le Verbe y naissant

Le château de mon âme

Toi l’Infime Immense

 

Et tellement plus petit

Disparu dans les autres

Toi Immense Toi Infime

Toi le Dieu comédien

De divine comédie

 

En moi tu demeures

Toi l’Infime

 

En vous je demeure

Vers vous m’attirez

Immensité trine

Trois au-delà du chiffre

Un au-delà de l’Un

 

Mot de Caroline Charlet

Marie-Odile s’est éteinte ce 30 août 2015, à la veille de la rentrée des classes. Henri-Jacques me disait que l’évocation continue par les journaux télévisés du retour en classe à la fin du mois d’août exaspérait Marie-Odile lorsqu’elle enseignait. Alors, peut-être parce qu’il est salutaire pour nous, pour moi, d’accueillir un événement si profondément incompréhensible que sa disparition auprès de nous par une idée qui crée un peu de sens, même infime, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’en quittant notre monde ce 30 août,  Marie-Odile a fait un joli pied de nez à la rentrée des classes. Je me souviens d’un jour d’août où nous faisions des achats. Me voyant hésiter entre plusieurs carnets de bord pour les notes des élèves, elle m’avait dit : « Je déteste la rentrée des classes », avec une sympathie si grande que je ne savais pas où s’arrêtait son propre souvenir et où commençait sa compassion pour moi. Cette empathie qui lui était propre est gravée dans nos mémoires et dans nos cœurs. Les confidences sur nos souffrances, nos angoisses, elle les écoutait, nos moment de joie, elle les partageait avec des yeux pétillants, nos moments de découverte, de création, elle les encourageait par ses questions, ses analyses et sa curiosité. Sa générosité se manifestait dans les attentions permanentes qu’elle avait pour chacun : petits mots, cartes, lettres et cadeaux. Elle aimait les gens, elle aimait ses amis, elle nous aimait. L’idée de quitter toutes les personnes qui lui étaient chères fut aussi éprouvante pour elle que l’est pour nous son départ.

            Je l’ai connue quatre ans, c’est finalement peu et cependant c’est bien assez pour ressentir cruellement un départ prématuré qui laisse un vide d’autant plus grand et impossible à combler que Marie-Odile était une personne riche, singulière et unique, par sa culture, son intelligence, sa vivacité d’esprit et, je le redis, sa générosité. Toutes ces qualités, elle les possédait à sa façon à elle, unique. Par-delà la mort, c’est encore sa générosité qui nous réunit, qui nous unit, qui nous lie. De la part de ceux qui n’ont pas pu être présent aujourd’hui et de notre part : merci à toi Marie-Odile, merci.  

 

 

Bénédiction du corps de Marie-Odile par Frère Guy Sionneau et l’assemblée accompagnée de l’orgue.

 

Final : R. Schumann, Requiem für Mignon, opus 98

 

Pendant la sortie : saxophone par Maria Méndez

 

Texte écrit par Arthur, son petit fils de 10 ans,

 

Si nous sommes réunis ici, c’est pour l’enterrement de Marie-Odile. Elle était chère à beaucoup d’entre nous. Mais la question est : pourquoi l’aimions-nous ? Elle était tendre, affective et à l’écoute des autres, généreuse et intelligente. Mais si nous sommes rassemblés ici c’est car elle a marqué nos vies par sa pensée, par son amour ou par son travail. En dehors de la tristesse de sa mort prématurée, elle laisse chez nous tous quelque chose qu’elle nous a donné, quelle qu’elle soit : une pensée, une manie, une recette, une passion ou bien la chose la plus importante chez l’homme, la vie. Elle nous a donné à tous une chose précise : la joie. Elle était totalement dévouée à ses patients, qu’elle n’a jamais abandonnés, même dans ses derniers mois. Elle n’aimait pas moins sa famille : ses enfants, Caroline, ses petits-enfants et surtout Henri-Jacques qui était l’homme de sa vie. Elle aimait recevoir des amis et elle prévoyait toujours bien les repas et les nuits.

 

 

 

 

Au cimetière de Thomery

 

 

Mot de Anne-Marie Leriche

Mot de Dominique Mongin

Texte de Teilhard de Chardin, par Bernard Feillet

 

Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit) commencera à marquer l’usure de l’âge ; quand fondra sur moi, du dehors ou naîtra du dedans, le mal qui amoindrit ou emporte : à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux ; à ce moment dernier, surtout, où je sentirai que je m’échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui m’ont formé ; à toute ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c’est vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en Vous.

 

Chant : In Paradisum par Frère Jacques-Paul

 

In Paradisum deducant te Angeli,

In tuo adventu suscipiant te martyres,

Et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem.

Chorus angelorum te suscipiat,

Et cum Lazaro quondam paupere

Aeternam habeas requiem.

 

Texte de Marie-Odile (paru dans Esprit)  lu par Adélaïde Bon

  

Rejoignant les errants célèbres ou anonymes de la fable mystique, Breton pense le Dieu qui meurt du verdict prononcé lors du procès de sa parole - telle est la croix du verbe - en termes de néant incréé, néant d’excellence.

Instance critique de toutes les pratiques, fussent-elles ecclésiales, la croix exige le deuil des représentations et des formulations dogmatiques. Le verbe de la croix en lequel le Divin prend sur lui la faiblesse et la folie « ne se dit ni dans les termes d’une théologie négative ni dans un langage conceptuel ». C’est dans une

poétique que s’écrivent l’évangile et les pratiques dont il est la source et qui n’ont jamais fini de s’inventer. Une singulière dévotion émerge du chapitre XXV de Matthieu qui fait de l’autre en manque de son nécessaire, le lieu même du Divin. Dieu disparaît dans les autres, mieux le fils de l’humain, « celui qui était venu de Dieu et s’en allait près du Dieu », Jésus, dépose dans les crucifiés du monde son propre JE : c’est à moi que vous le faites…

La présence d’un énigmatique Je à l’intime des plus déshérités transfigure tout geste d’humaine compassion en service divin du verbe en croix.

Breton dans une audace inespérée propose la grandiose fiction d’un Dieu comédien. Il ouvre une voie pour orienter dans un sens nouveau la foi en la résurrection. Faisant du service de l’autre l’exigence vitale de la communauté qu’il engendre par le geste du lavement des pieds, le fils de l’humain porte à l’extrême le détachement qui va jusqu’à l’acceptation de se perdre et de perdre Dieu en renonçant à tout souci concernant sa propre survie pour transférer sur les autres le don de sa vie.

Désormais le régime de notre pensée et de notre existence comme celui de la foi est celui de la question et le point d’interrogation, icône de la vie de l’esprit, est le graphe auquel s’identifie non seulement le philosophe mais tout humain travaillé par une exigence de lucidité. Breton ne se demandait-il pas dans les derniers mois de sa vie si son corps ressuscité ne prendrait pas la forme d’un point d’interrogation

 

Marie-Odile Métral-Stiker

Église Saint Joseph des Carmes, jeudi 3 septembre 2015