L’ÉCART ENTRE LA PRATIQUE ET LA THÉORIE

Manuscrit non daté

 

L’essai se déplie à la manière d’un éventail dont chaque brins ou plis, articulé sur la tête est un élément de la feuille. Celle-ci correspondrait à une vue d’ensemble de la psychanalyse et des difficultés que l’analyste y rencontre. Freud découvre très nettement la façon dont il concevait, au soir de sa vie, la psychanalyse dans sa double démarche » de clinicien et de théoricien.

Certes, l’Essai commence avec une question pratique, celle de la durée des analyses, en partant de la réduction du temps de la cure. Ces questions renvoient Freud à son expérience de clinicien, mais la réflexion théorique, ses spéculations et ses enjeux, couvrent toute la feuille de l’éventail et en constitue la rivure, axe horizontal autour duquel sont rassemblés les plis. La réflexion théorique est ancrée dans ce qui concerne la pratique. Mais pour Freud la pratique n’est pas une fin en soi. L’essentiel est la théorie. Or la théorie n’est pas seulement issue de la pratique, elle n’est pas seulement théorie d’une pratique. La métapsychologie, explicitement et largement évoquée à propos du domptage des pulsions, constitue une sorte de superstructure de la psychanalyse. Dans la Métapsychologie, Freud écrit : « il semble légitime de compléter les théories qui sont l’expression directe de l’observation par des hypothèses utiles pour rendre compte des choses et ayant trait à des rapports ne pouvant devenir l’objet d’observations immédiates ». Tel est le pouvoir incomparable de la « Sorcière » (chapitre III), dont la dynamique ne peut être que l’imagination créatrice  en laquelle le pouvoir de spéculer et celui de fantasmer se conjuguent.


La technique elle-même dépend de la théorie comme le montre la question de l’analyse de l’analyste. Le chapitre VII en élabore la théorie en insistant sur la réduction de l’écart entre la pratique et la théorie dans l’analyse personnelle (celle de l’analyste) à la faveur d’une conclusion de celle-ci en même temps que d’une suite selon certaines modalités. C’est donc la primauté du travail théorique qui est affirmée tout au long de l’Essai. Quand Freud interroge la question de la fin de l’analyse, quand il en cherche les critères, quand il se demande à quelles conditions on peut parler de guérison et quels sont els rapports entre la guérison et la maladie Freud a toujours recoure à la théorie dont la pratique ne semble être qu’une application (p.233).

Les questions posées dans l’Essai, telles qu’un clinicien est tenue de les formuler révèlent l’écart entre la théorie et la pratique. C’est la théorie qui permet d’expliquer, dans l’exemple de l’Homme aux loups, l’histoire croisée de la guérison et de la maladie ; ce qui suppose de parler de la névrose en termes de maladie et de mener une réflexion sur les rapports entre le normal et la pathologique. C’est la théorie qui commande le débat avec Rank et Ferenczi autour du trauma. Deux théories s’affrontent, le trauma étant pour Freud un facteur aléatoire par rapport aux forces pulsionnelles et aux défenses du moi. C’est la théorie des pulsions qui permet de montrer que leur force, envisagée d’un point de vue quantiitatif est le principal obstacle à leur domptage, condition de la terminaison d’une cure. L’insuffisance des investigations, les carences conceptuelles entraînent constamment Freud à des considérations théoriques.

A la différence de Ferenczi qui soutient que c’est la pratique qui donne à la théorie sa pertinence – toute théorie est pour lui directement tirée de l’expérience-, Freud insiste sur la fonction explicative de la théorie dont les concepts fondamentaux ne sont pas toujours issus de l’expérience à laquelle ils se rapportent et en sont souvent déduits à titre de conséquence ou posés comme prémisses d’une théorie dont la technique est la conclusion.

La question de la résistance aux changements, de l’empêchement des mouvements psychiques entraînant une modification du moi, dans un devenir favorable à une subjectivation, demeurent des questions sans réponse tant qu’on n’a pas remis sur le métier les concepts métapsychologiques. Ce qui suppose de conserver et de transmettre la métapsychologie au risque peut-être de l’intrépidité de la Sorcière, que le cadre imposé par la théorie, permet de juguler.

C’est un véritable corpus plus succinct que l’Abrégé, que Freud nous laisse dans l’Essai. Il fait la synthèse des grands axes théoriques concernant l’appareil psychique : théorie des pulsions, dont celles de la pulsion de mort opposée à éros et circulant entre les instances et qui trouve si peu d’écho chez les psychanalystes ; théorie du refoulement où l’on repère la référence aux deux Topiques, avec l’aveu de l’insuffisance du point de vue économique et la distinction entre les processus primaires et secondaires ; inconscient ;  rêve, les modifications du moi et mécanismes de défense ; la libido, sa labilité, sa viscosité ; compulsion de répétition ;  transfert négatif, déni du féminin. Freud élabore ainsi une véritables théorie des résistances, des degrés de résistance que vient traverser la question du transfert. Toujours ouverte à de nouvelles recherches la psychanalyse malgré les risques de l’idée de doctrine et de psychanalyse appliquée ne peut s’y figer. Elle est inachevée. Une théorie est vraie quand elle contient un noyau de vérité qui la sanctionne mais l’amour de la vérité qui lie l’analyste et l’analysant, les inscrit dans un dynamisme dont le terme n’est jamais atteint. Les voies vers la vérité en interdisent tout accaparement et cultivent la déprise. Freud joue de la fonction méta, sans laquelle on ne peut penser. La sorcière plane sans se poser du coté de la métaphore, de la métastase, de la métamorphose.