TEXTE ANCIEN (FIN DES ANNEES 60 JE PENSE) sur le couple et le sacerdoce

Texte ancien, 1960

 

Il faut avertir le lecteur éloigné des problèmes d’église et des questions théologiques que Marie-Odile était très mécontente du sort fait aux femmes, du peu de valorisation du couple malgré les apparences et de l’impérialisme des clercs masculins, dans l’église catholique. Mais elle raisonnait malgré tout de l’intérieur.

Toute question concernant des hommes ou des femmes ne peut s’envisager sans référence à cette relation dynamique qu’implique pour l’être humain le fait d’être homme ou femme. Qui dit relation dynamique met en question du même coup un certain nombre d’images mythiques de l’éternel féminin face à l’éternel masculin. Le rapport homme-femme, qui constitue un problème à résoudre pour une anthropologie philosophique que nous ne développerons pas ici, n’est pas seulement affaire de nature mais aussi de culture, autrement dit il ne relève pas seulement de la catégorie de l’être comme substance, mais de celle de la relation qu’affecte le devenir.

S’il y a encore des droits à revendiquer pour la femme au plan du travail, au plan des fonctions sociales et ecclésiales, il ne faut pas oublier de situer cette phase revendicative et parfois, par stratégie, négative de toute différence, sur le fond d’un rapport homme-femme. Car l’égalité n’est pas l’identité ; on pourrait même montrer qu’elle comporte la différence. Mais ce n’est pas le lieu de la démonstration. Le rapport n’est ni un rapport de polarité se réduisant à une sexualité génitale, ni un rapport de complémentarité comme s’il manquait à jamais ce qui appartiendrait à l’autre, selon le mythe de l’androgyne. La personne humaine qui n’est ni désincarnée, ni neutre se détermine comme être-homme ou être- femme dans la relation à un autre. Si elle s’accomplit ainsi dans la rencontre d’une autre subjectivité, c’est à partir du privilège de la rencontre et de la relation amoureuse que peut s’éclairer toutes les modalités du rapport homme-femme. Face à face personnel qui engage l’homme et la femme, grâce à un partage des tâches et à une différence dans leur accomplissement, dont les modalités peuvent varier avec le contexte social, voilà ce qu’est la relation homme-femme.

Aussi lorsqu’on en vient à des problèmes pratiques comme ceux, dans l’Eglise, du mariage des prêtres ou du sacerdoce des femmes, des problèmes philosophiques s’ajoutent aux problèmes théologiques. Il apparait qu’il s’agit de faire, en pensant la sexualité, une métaphysique de l’amour en même temps qu’une théologie du mariage. Or la théologie du mariage est encore sous terre, à l’ombre d’une théologie de la virginité. Si on pose par exemple le problème du sacerdoce des femmes en termes de collaboration pastorales et d’égalité entre l’homme et la femme, si on pose le problème du mariage des prêtres comme s’il s’agissait seulement du droit pour cette catégorie d’hommes à se marier, sans voir les conséquences possibles et souhaitables dans la vie des communautés chrétiennes, il faut bien voir que le problème est posé de façon unilatérale.

Pour la question propre du ministère sacerdotal, afin d’éviter des fausses solutions comme celle par exemple de l’accession des seules religieuses au sacerdoce ou, tentation plus grande encore, par le biais du mariage des prêtres, celle de la bonne famille chrétienne super militante ou encore l’imitation pure et simple d’un sacerdoce masculin vécu dans des structures masculines (le poids de l’histoire est là) par des femmes, il convient de penser ce que pourrait être un ministère sacerdotal porté par un couple. Car c’est dans cette expérience que pourrait se dégager pour ce service lui-même la fécondité de la relation homme-femme. Il ne s’agit pas bien sûr de demander l’ordination du couple comme tel, ce qui serait irrespectueux de la personne, il ne s’agit pas non plus de dire que les femmes célibataires ne pourraient pas être ordonnées à ce service. Il s’agit simplement de manifester la dimension sacerdotale du couple acceptant ce service de la communauté, et de pouvoir ainsi repenser les communautés chrétiennes et inventer des formes nouvelles de communauté. Il faut éloigner du sacerdoce toute image de type monastique, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir quelques moines prêtres. Le partage, dans une certaine mesure, de ce service par les époux est peut-être la manière la plus vraie et la plus sûre de faire place au rapport homme-femme dans l’église, rapport homme-femme qui serait vécu d’une autre manière par les célibataires des communautés chrétiennes, homme ou femme, prêtres ou non-prêtres. Cette mise en valeur du sacerdoce comme service qui ne se réduit pas à une fonction en ce qu’elle oriente la personne, fidèle à la conception évangélique du jeudi saint et du sacerdoce chez Jean, tend à distinguer monachisme et sacerdoce et du même coup sacerdoce et usage de la création, donc du temporel, sacerdoce et présence dans la cité. Pour résumer en une phrase ce qui s’en suit pour les modalités du ministère sacerdotal on peut dire que, hormis les moines, laïcs fort particuliers, il n’y a que des laïcs dont quelques-uns sont prêtres.