LES CINQ ANGOISSES DE JESUS SUR LE CHEMIN DE L’ULTIME
Entre 2007 et 2011
I L’angoisse au jardin
Étreint par l’angoisse il prie plus ardemment. Sa sueur est comme des caillots de sang tombant sur la terre. Il a cessé de prier, il est allé vers ses disciples. La tristesse les avait endormis (Luc 21/44-46)
Avant que ça s’arrête
Avant que tout s’arrête
Commence le parcours
Où s’évanouit l’ errance
Du verbe vagabond
Au jardin
Cette nuit
De tous abandonné
Il fut pris de tristesse
Tristesse d’être né
L’angoisse du mourir
Le broie
Comme les grappes mûres
À la roue du pressoir
Une sueur de sang
Sueur de l’angoisse
Troue sa peau en guenille
C’est bien pire que de naître
Dans le sang et dans l’eau
D’apprendre à respirer
Hors du sein maternel
Le souffle le lâche
L’oppression le serre
L’agonie le reprend
On pourrait le soutenir
Le tenir par la main
Lui parler
L’embrasser
Non ! C’est comme au calvaire
Retour de l’abaissement
Qui a déjà eu lieu
Qui toujours aura lieu
Il est seul
A l’écart de toute compassion
Ils se sont endormis
Ses amis les plus proches
Fuyant leur propre peur
En un sommeil sans rêve
Qui les anesthésie
Seul avec le seul
L’unique nécessaire
Grâce de toute Grâce
La coupe empoisonnée
La mort sur une croix
Il n’en veut pas
Châtiment du divin
En place des fauteurs ?
Comment penser cela du Dieu
De son Dieu ?
La volonté du Père
C’est la coupe de l’ivresse
Au banquet partagée
Où boiront les humains
Sans exception peut – être
La volonté du Diel
C’est que s’il faut
Tu meures
Sans renier la parole
Au temple proclamée
Le lieu du divin
C’est l’humain habité
Christ porte en son Je
Les petits
Les souffrants
Lui homme aux mille tours
Dieu comédien
Tu meures
Traité comme un infâme
Pour que soit chuchoté
À l’intime du cœur
Le secret de l’Hôte intérieur
Je consens à mourir
Comme si je le voulais
Pour cette parole à dire
Sans se reprendre
Entendue auprès de ton silence
Je m’abîme en mon Dieu
Je ne puis plus penser
Je suis tout prière
Même quand je ne prie plus
Déjà j’entends celui qui m’a livré.
II L’angoisse du tribunal
Dès le matin, les grands-prêtres tinrent conseil avec les anciens, les scribes et le sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Pilate l’interrogea : « Es-tu- le roi des juifs ? » (Marc 15/1-2
Ils approchent ceux qui vont m’arrêter
J’étais tout à la fois prostré et prosterné
Debout
Elle est venue l’heure de la trahison
On me cherche
Oui c’est moi
Moi ça ?
Déjà je n’ai plus de visage
On ne me connaît plus
On dit ne m’avoir jamais vu
Je suis le soupçonné
Le dénoncé
On me fuit
On me nie
On me renie
On me dévisage
Je tiens encore debout
Dans une détresse sans cri
Dans une tristesse sans pleurs
On ne m’épargne rien
Injures
Insultes
Ces symptômes de l’envie me décomposent
On me ligote
On me violente
On en appelle à Dieu
A sa grande puissance
Blasphème dont personne n’implore le pardon
Suis-je demeurer digne
Comme me montrent les peintres ?
Je ne sais
Je suis transi de peur
Je me consume
Je crains le tribunal
Ne vous ai-je pas dit
N’allez pas chez les juges
Ils sont dérisoires
Les pouvoirs civils et religieux
Je suis ballotté entre Pilate et Hérode
Renvoyé au Grand-Prêtre
On fait de moi un bouffon
On me condamne à mort sans procès
J’ai peur de mourir à trente ans
Peur de mourir sur une croix
Peur de la dernière agonie
J’ai peur de laisser mes amis
Peur de ne plus parler
De ne plus voir la mer
Et de ne plus manger
D’oublier à jamais les formes et les couleurs
Peur de ne plus sentir l’étreinte de Marie
Quand elle baise mes pieds
Les entoure de ses bras
J’ai peur de perdre ces femmes
Toujours prêtes à m’entendre
Oui j’ai peur de mourir
O dieu qui me suffit
O mon Dieu que je prie
Auprès de qui je suis
Et de nuit et de jour
Celui dont je suis proche
Et en ma peur si loin
Celui d’auprès de qui je viendrai et je viens
A distance toujours
III La crainte de l’effondrement
En vérité je vous le dis si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt il porte du fruit en abondance. Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle (Jean 12/24-26)
Il n’est plus seulement affublé
D’un royal apparat de pacotille
On lui flanque sur les reins
La croix de son supplice
Ses jambes le lâchent
On pourrait croire qu’il tombe
Son corps est une masse
Ecrasée sous la pesanteur du bois
Il s’effondre de crainte de tomber
Comme s’il collait au sol
Gisant
Anéanti
Il imagine la terre se fendant sous ses pieds
Gueule féroce
Elle dévore
Engloutit
Tout s’effondre
C’est en plein jour
Bientôt il fera nuit
Nuit en plein jour
Qui s’abat sur le monde
Il arrive au pays des ombres
Là gargouillent bêtes gluantes
Meutes sauvages harcèlent
Et rapaces menaçants
Son sang se fige
Son corps est déjà raide
Corps de pierre
Le lieu du crâne approche
Peut-il encore prononcer un fiat comme au jardin ?
De cette chute là
Vécue de l’intérieur
Il ne se relève pas
On l’attrape,
On le dénude,
On le pousse sur la croix
Cette fois c’est le supplice
IV. La terreur du supplice
Arrivé au lieu dit Le Crâne ils le crucifièrent ainsi que les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche…le peuple restait là à regarder, les chefs eux ricanaient, ils disaient : « il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même s’il est le messie de Dieu, l’élu ». Les soldats aussi se moquèrent de lui s’approchant pou lui présenter du vinaire ils dirent « si tu es le roi des juifs, sauve-toi toi-même » (Luc 23/33-38)
Supplice ignominieux que celui de la croix
Douleurs incomparables
D’une lente agonie
J’aimerais être pendu
Ou encore décollé
Je me cadavérise
Ma conscience rétrécit
Tout autour de ma bouche
Vieux nourrisson celui qui va mourir
J’ai soif
Toujours soif
J’ai soif
Je n’ai pas bu leur saleté d’amertume
Me revient le souvenir
Du vin partagé au dernier repas
Qui me donnerait un peu de bon vin ?
Oui j’ai dit : ceci est mon sang
Vous l’avez bien compris
Ce que je vous laisse
C’est ce que je désire boire
En ma dernière soif
C’est le vin de l’ivresse
Qui brûle et désaltère
Telle une source fraîche en son commencement
Je ne vous laisse pas
Comme le loup de vos contes
Un sang humain à boire
Pas plus qu’un sang divin
Pitié ô pitié
Je ne veux pas être l’agneau qu’on mène à l’abattoir
Ni l’agneau immolé
Je crains si fort qu’un jour
En d’autres temps plus critiques que ce jour
Quelqu’un vienne à penser
Qu’on aurait fait de moi le mouton de Dieu
Je suis l’homme de douleur
Et je souffre avec vous
Et avec vous j’ai peur
Ce que je vous laisse
Y étant pour toujours
C’est dans ce symbole admirable
Du pain et du vin partagé
La parole de vie
Parole aujourd’hui crucifiée
C’est la parole qu’ils clouent sur cette croix
Parole qui ne se tait
Qu’au silence de vos cœurs
Ma terreur est immense
Ma douleur est intolérable
Bizarrement
Je ne sais trop pourquoi
Ma conscience s’élargit
Un jour je fus enfant
Prêt à tendre les bras
Aujourd’hui je m’étends sur le bois de la croix
Corps abimé
A trois endroits percé
De quatre plaies blessé
Je suis étendu tout entier
J’ai mal
C’est trop dur
C’est trop long
Je crève de ne plus respirer
Et je ne peux pas sauter
Du haut de cette croix
Je voudrais me jeter
Libre de toute attache
D’un sommet de montagne
Ou d’un toit élevé
Pitié pour tous ceux qui étouffent
Pitié pour ceux qui osent
En un instant de folle liberté
S’élancer dans les airs
En oubliant la chute
Ah ! C’est trop insensé
Suis-je donc un scélérat ?
Innocent
Dans le noir continent de mon âme
Je me rejoins assassin
Condamné à mort
Dans l’horreur du supplice
Le châtiment en forme de supplice
C’est la fureur de notre cruauté
La légitimation de nos mœurs assassines
Je n’ai jamais eu beaucoup d’attirance pour les esséniens
Vous savez bien que les purs ne sont pas mes préférés
Mais si je pouvais là sauver ma peau
J’irais me cacher dans leur inhumain désert
J’ai pour tous les assassins suppliciés
Compassion et tendresse
Thérèse toi la petite
Tu es vraiment ma sœur
Je pense à toi sans encore vraiment te connaître
Je partage ta passion et ta désespérance
V. L’angoisse du mourir
Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie femme de Clopas et Marie de Magdala. Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : « femme voici ton fils ». Il dit ensuite au disciple : « voici ta mère » …après quoi sachant que dès lors tout était achevé pour que l’Ecriture soit accomplie jusqu’au bout Jésus dit « j’ai soif » ; il y avait là une cruche relie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de ce vinaigre au bout d’une branche d’isope et on l’approcha de sa bouche. Dés qu’il eu pris le vinaigre Jésus dit « tout est achevé » et, inclinant la tête il rendit l’esprit. (Jean 19/25-31)
Il est là sur la croix
Entre deux anonymes
Des moins que rien
Rien
Figure de l’au-delà de tout
Rien par excès
Simplement peut-être
Entre deux misérables
Il est là sur la croix
Inaccessible aux siens
Au sentir de leurs gestes
SEUL
Personne ne peut se mettre
A la hauteur de ses pieds déchirés
Nulle Marie pour les tenir en son embrassement
Nul ne peut même apercevoir ses yeux voilés
Blanchâtres
Ses yeux de mourant
Et lui que distingue-t-il ?
Tout se confond en une nuée grise
Dans sa tête alourdie
Passent des souvenirs aux contours incertains
De mots et de choses
Ils viennent simultanés
De cette durée
Où s’efface le temps
Adoucir le souffrir
Transporté en pâtir
Un jaillissement d’espérance
Vient parfois comme un baume
Panser le corps qui va mourir
Asséché
J’avais cru avoir su
En paraboles
Vous parler de la mort
Au soir d’amour
Je vous parle sans paraboles
L’angoisse qui m’étreint
C’est celle du mourir
C’est si long de mourir
Ca n’en finit pas de finir
Surtout sur la croix
Rien ne réduit cette angoisse
Moi le thaumaturge
Sensible à toute souffrance
Comme une fille de la charité
Je ne connais aucun remède
Ils ont raison de dire
Mes bourreaux en furie
Que tu m’abandonnes au mourir
Toi abîme de silence et prince de l’impuissance
Tu me laisses en ma déréliction
Je suis sans voix
Mais cet abîme est de miséricorde
Et dans un dernier soubresaut
Je prononce les dernières paroles
Les sept dernières paroles
De mes cinq dernières angoisses.
Père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font (Luc 33/33-34)
Tous pieux ou impies
Respectueux de la loi ou non,
Nous sommes compulsivement tout au long de l’histoire
Des meurtriers,
Des destructeurs
Des malfaisants
Au nom de certitudes
Nous nous dévastons les uns les autres
Jusque dans nos amours
Le souffrant de la croix demande le pardon
Pour nos crimes
Nos blasphèmes
Nos impostures
Lui seul sait implorer le pardon.
Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis (Luc 23/43)
Moi le crucifié
Intolérablement seul
Sans amis
Sans amante
Sans mère
O croix de folie
O dieu de la croix
Dieu du verbe en croix
Tu n’es pas le dieu de notre désir
TU es intolérablement silencieux
Je m’adresse à un autre
Inconnu
Comme moi un humain
Nous partageons une commune origine animale
Des trajets d’errance
La fragilité
Le langage
Expirant
Nous nous parlons
Si nous sommes ensemble
Seulement si nous le sommes
Peut advenir le paradis
Reçois en ta miséricorde
Les chants d’espoir des misérables
Les mots des amants
Les psalmodies de Ceux qui te louent
Grâce nous soit donnée
D’être seul et ensemble
Femme voici ton fils (Jean 19/26-29)
Elle est mortifiée à l’extrême
La mère
En ce supplice
Celui d’un homme
Qui a été son enfant
Toi vivant jusqu’à la mort
En l’incommode supplice de la croix
Tu lui transmets
Tu nous transmets le seul amour
L’amour des vivants après nous
En cette dernière parole
Les liens du sang n’ont pas le dernier mot
L’amour déborde les obligations familiales
Les amours
Les enfants
Peuvent naître
De la parole et du vouloir
En ta miséricorde
Lien primordial
Introduis toute liaison
Au banquet nuptial
Pourquoi m’as-tu abandonné ? (Jean 19/28-30)
Les mots que j’ai prononcés
M’ont détourné de mon angoisse
J’ai eu des bouffées d’apaisement
Mais voilà qu’elle me reprend
L’angoisse
Plus vive encore
Je vais mourir
Je suis abandonné
Mon âme est vide
Je touche le néant
Nous sommes tous des abandonnés
Nous souffrons
Nous avons fait souffrir
Ceux que nous avons abandonnés
Elles ont déjà eu lieu ces angoisses
Vieilles angoisses qui font peau neuve
Jésus crucifié exprime une angoisse extrême
L’angoisse du néant
En laquelle se condense toute angoisse
Et en elle Il reprend les abandons
Des humains de tous les temps
Qu’ils soient victimes ou coupables
Ils sont victime et coupables
Plus ou moins
Il récuse Dieu et le supplie
Le nommant
A Lui il s’adresse
Il est son Dieu
Mais s’il pense que le dieu l’abandonne
Comme font les humains
Comment ce dieu serait-il Dieu ?
O Dieu
Enveloppe de ta miséricorde
Tous les oubliés
Et par la parole de Jésus
Adressée à ton silence
Apaise notre angoisse du néant.
J’ai soif (Jean 19/26)
Je déteste le vinaigre
Je n’aime que l’eau offerte par les femmes
Et la source intarissable
Où se désaltère l’esprit
Où se rafraîchit la parole
J’aime le vin des festins et des noces
Ma bouche est sèche à en mourir
J’ai soif
Le vinaigre ajoute à ma soif
Je ne demande plus à boire
Je veux mourir
Je vis au plus intime de moi
La condition humaine
Je suis un être de désir
Je remets mon esprit entre tes mains (Luc 23/46)
Mon angoisse du néant
Pas de mot pour la dire
Je suis une carmélite en oraison
Je dépose mes pensées
Mes paroles aussi
Et mon angoisse sans nom
Tout est accompli (Jean 19/30)
N’en parlons plus
Ne parlons plus
Tout est accompli
La mort n’est plus un destin
C’est ici que tout commence