Madeleine
Entre histoire et fiction dits vers 2010
Il n’est plus
Celui que mon cœur aime
Il est mort
Mort en croix
Depuis
Je ne fais que pleurer et marcher
Que marcher et pleurer
Séparée de moi-même
Je marche
Je marche pour ne pas tomber
Je m’effondre de mes agonies premières
En son agonie clouée
En son agonie volée
Son corps au goût de cendres
Comme un aimant m’attire
Comme se dresse le bois pour l’homme supplicié
Vers le gouffre de ma détresse
Je me hâte
Il est mort comme on tue les infâmes
[En ceux-là même
Le Dieu
Son Dieu
Obscurément demeure
Dispensant au néant de leur âme
Qui jouxte son abîme
Sa tendresse aux indicibles saveurs]
Il est mort
Et depuis
Je ne fais que pleurer et marcher
Marcher vers son tombeau
M’y tenir égarée
Et m’enfuir effarée
Je suis l’endeuillée
Ma figure est défaite
Ma tête vide
Anesthésiée
Pierre d’ombre toute lisse
Est un champ d’inertie
Dans ma mémoire exsangue
Sous les plis ténébreux
De ses sables mouvants
Seul un souvenir fait trace
Laborieusement
Auprès de lui
L’homme de la Parole
Je me trouve accroupie
Je oins ses pieds d’un baume
D’une essence fruitée
Mêlée à des senteurs
Et d’écorces et de fleurs
J’effleurais ses orteils du bout de mes cheveux
Caresses éparpillées
Mes lèvres parcouraient ses chevilles fatiguées
Dispersant sur sa peau
Des baisers passagers et multiples
Il m’avait enseignée
Moi la soupçonnée
Celle dont on paye l’entrée
Matière archaïque et informe
Pur néant par défaut
Il m’avait appris
A ne pas le tenir
A ne pas le retenir
A ne pas le toucher
A ne tenir à rien
A ne rien retenir
Femme dépossédée
Dans la légèreté d’un transit
Je vais, je viens…
On m’avait volé son mourir
Je marchais, je pleurais
Je n’avais pas voulu l’ensevelir
Parfumer son linceul
D’aloès et de myrrhes
Comme ont fait mes compagnes
Je n’avais qu’un désir
Impossible désir
J’aurais aimé apaiser son mourir
Etre tout près de lui
Avec ou sans sa mère
Avec d’autres
Et chanter et pleurer
Et recueillir ses souffles
Atténuer ses douleurs
De mes mains caressantes
Mais la croix l’élevait
Hissé et imprenable
Seul avec le Seul
Le Très-Haut
Eloigné
Il entrait en silence.
Moi j’étais à ses pieds
Condamnée à l’écart
C’était la nuit encore
Sans attendre l’aurore
J’allai vers son tombeau
Comme on court vers son lieu
Rejoindre son corps de mort
Etait-ce encore un corps ?
Le tombeau est ouvert
Allais-je m’y jeter ?
Mais où donc est le mort ?
La panique m’arrête
Je vais le dire aux hommes
Aux hommes quelle idée !
Etais-je donc effrayée ?
Pierre
Dans son mouvement empêché
Courbé déjà d’avance
Sous les romaines pesanteurs
(Ils lui font le portrait Bacon et Reverdy)
Et le disciple aimé
Porté par son élan
S’empressent d’aller voir
L’un est déconcerté
A-t-il peur des fantômes ?
L’autre croit le premier
Sans raison
Que c’est signe de vie
Il est des nôtres, femmes !
Et moi de retour au tombeau
Je me penche affolée
A la vue des deux anges
En place du mort postés
J’aperçois posé là le suaire
Roulé de main volontaire
Les linges dispersés
Aux odeurs de plaies vives.
Où étais-tu passé mon désir
De m’ensevelir avec lui ?
J’aurais pu, j’aurais du
C’était le moment
Accueillir le vide
Le grand vide
Me perdre
L’écoutant
En l’immensité de son Dieu
J’aurais pu
De ce rien
Me faire corps d’oraison
Travaillée par l’attente
Devenir la demeure
Où chaque jour Dieu naît.
Mais comment être là
Et presque sans désir
Sans mémoire
Auprès de la Parole ?
De la parole ardemment écoutée
Je n’avais aucun souvenir
Comme si par ma désespérance
L’inoubliable avait pu s’effacer
Rien
Rien
Si ce n’est
L’éprouvé si vif en son retour
De parfum et de corps
Souvenir sans Parole
Le vide du tombeau
Informe
Béance menaçante
M’aspirait
Tel un étau il me brisait.
J’aurais voulu trouver le vide généreux
La fente maternelle
Enveloppe contenante
J’aurais pu m’y laisser bercer
Hors prise
Hors emprise
Dans le souffle de la parole
La parole ?
Mais j’étais sans mémoire
J’étais sans mémorial
Vide vertigineux
Je ne savais plus rien
Du dernier repas je ne me souvenais plus
Mais quoi ?
Dernier repas
Ce mot éclate
Comme une brèche dans l’impensé.
Un dernier repas, y en a-t-il eu un ?
L’avais-je entendu dire ?
A ce dernier repas avais-je été conviée ?
Peut-être pas ?
Peut-être ?
Le texte a peut-être omis de l’écrire
Les femmes au fond on les laisse à leur ventre
Ah ! Les hommes
Comme aurait dit ma grand mère si j’en avais eu une !
[J’étais née de mère morte
Et n’avais reçu d’elle
Que ravage de chair
De tous les inconnus
Indiscrètement là
Lors de ma conception]
Je pleurais
On m’avait volé son mourir
On a en plus volé mon mort
Folles dans ma douleur
Mes pleurs avec mes pas
Légères
Me soulagent
Pourquoi pleures-tu ? Ont dit les anges
Pour survivre
Mes sanglots
Si je pleure j’existe
Je résiste à la mort.
Je porte la vêture
De la folie du deuil en ses commencements
Tenir le mort
Je veux mon mort
L’étreindre
L’accaparer
Mon mort n’est-il pas mon amour ?
Un homme passe
Pourquoi pleures-tu ?
Que cherches-tu ?
Je le vois
Je ne le connais pas
Je n’entends pas l’écho de sa parole
Prononcée un jour
En passant
En présence du baptiste
Qui cherchez vous ?
Je suis sans mémoire
Confuse
Je suis malade d’amour
Malade de mort d’amour
Mais je ne suis pas sans désir
Mon mort je le veux
Tout m’est hostile !
On me l’a pris
On l’a volé
Celui que j’aime
Celui qui n’appartient à Personne
Celui qui n’est personne
Rien
Personne
A nul autre pareil
En qui le divin fait briller son éclair
Je demande
Je supplie
Où l’as-tu mis ?
Le saisir
L’emporter
L’avoir
Non !
Il vient le temps du désir
Il s’étend le régime de la question
Je ne le connais pas cet homme que je vois
Jardinier ou gardien
Qu’importe son état civil ?
Je le vois
Je ne le connais pas
Mais quand j’entends : Myriam ou Marie
Moi je dis Rabouni
Mes yeux défaillent
A toi je m’adresse
Je ne me parle pas à moi-même
Je ne parle pas à mon âme
Je ne parle pas de toi
Crucifié
Ou Dieu innommable
A la manière des poètes rhénans
Je te parle à toi
Comme ceux, celles, du Carmel
Les Thérèse
La grande et la petite
Jean dit de la croix
Et encore Léontine avec Elisabeth
Et d’autres qu’on ignore
Et qui tous signent indignes
Madeleine aux mille tours
Je dis des mots d’amour
Des mots qu’on n’écrit pas
Je te parle
Du rien de l’oraison
Autour d’un nom secret
Qui résonne à l’intime
Se dessine mystérieusement
L’espace intervallaire
De nos ineffables liaisons
Tu es vivant
Puisque tu dis mon nom
Et que moi je t’appelle
Sans pourquoi
Maître
Quoi maître ?
Tu m’as appris à me déprendre
Tu es vivant
Et moi dépossédée je vis
Noli me tangere
Aimer dans une distance rapprochée
La chaste vie de Madeleine
Oh ! Le grain de ta voix
D’où jaillit ta parole
Métaphore de la bienheureuse et silencieuse écoute
Sommes-nous ?
Je ne sais
Nous parlons
Je t’entends
Tu me dis de parler
Pas d’autre transmission !
Et parler et servir
Aller auprès des frères
Dans ma belle ignorance
Annoncer
Qu’auprès de Dieu tu vas
Auprès du Dieu qui peut être
Car il est bon qu’il soit
Il doit être, il sera, il est
Ça y est !
Je me souviens
Me revient la mémoire
Ta parole
Je l’entends
Nouvelle
Tu couvres de ton Je
Les petits
Les manquants
Les creusés de la faim
Les crucifiés du monde
Quand un autre
Quand des autres
Leur donne
Ce qu’ils ont
Et tout ce qu’ils n’ont pas
Dieu comédien
Sommes-nous
Toi et moi ?
Je ne sais
Mais j’ajoute à ta joie
Parole de ta parole
Joie de Dieu
Complétée