Notice biographique sur Stanislas Breton

Texte écrit avec Jeanne Bernard Amour

 

C'est l'image d'une mère morte qui hante l'enfance de Stanislas Breton, né en 1912 après la disparition de son père. Le voici poussé malgré lui à rechercher et nommer l'origine de ce qui est et peut être. Orphelin, il est pris en charge par sa sœur cadette, et par le vieux curé de son village qui lui apprend le latin en jouant aux échecs. Ainsi commencent les péripéties d'un long apprentissage.

Après avoir été refusé par les supérieurs de quelques séminaires environnants, il est recueilli chez les Passionnistes, à 7 km de son village natal, Gradignan en Gironde. À 15 ans il entre au noviciat. « L'impossibilité d'être ailleurs et la nécessité du plus court chemin avait décidé de mon avenir », constate-t-il avec humour. Les jours se succèdent au rythme des offices, d'études sommaires et des travaux du jardin. Ce monde où il ne se passait rien lui rappelle « la simplicité champêtre des premiers chapitres de la Genèse ». Son supérieur décèle toutefois en lui une capacité certaine à philosopher et lui confie l'enseignement d'une poignée de novices, qu'il initie à la philosophie avec les ouvrages qu'il trouve à portée de main, notamment les dialogues de Platon et les écrits de Suarès dont il lit les Disputations métaphysiques, des kilomètres de prose scolastique, ainsi que le traité De la relation, laquelle fut toujours « parmi les êtres métaphysiques la bien-aimée de sa réflexion ».

En 1938, il part pour étudier à Rome, mais revient en 1939 afin d'accompagner sa sœur cadette malade dont la mort provoque le « premier choc émotif de sa vie ». La guerre est déclarée. Breton, prisonnier en Autriche, survit à cet univers concentrationnaire en lisant des ouvrages de logique et en s'ouvrant à de nouvelles rencontres intellectuelles. Mais à son retour en 1945, nul ne reconnaît le traumatisme qu'il vient de subir ; il doit reprendre la vie conventuelle comme si de rien n'était. Or quelque chose s'est passé, quelque chose s'est brisée, plus rien n'est comme avant. Nerveusement épuisé, subissant des  « troubles de l'orientation », il continue pourtant le travail d'articulation de sa pensée et retourne à Rome pour y faire un doctorat de philosophie, lequel sera publié en 1951 sous le titre « Esse in et esse ad dans la métaphysique de la relation ». Bien qu'on juge alors sa fonction du réel perturbé, il est nommé à l'Université de la Propagande pour y enseigner à sa manière la psychologie rationnelle. En 1952, paraît son deuxième ouvrage, La passion du Christ et les philosophes, où il esquisse une dialectique du chemin de la Croix qui atténue, en les objectivant, ses désolations de corps et d'esprit.

En 1956 il quitte Rome et vient à Lyon pour enseigner aux facultés catholiques. Puis invité par l'Institut catholique de Paris, il obtient la chaire de métaphysique. Il habite alors à Clamart, où se trouve le scolasticat Passionniste. Un petit cercle philosophique se réunit la et lui donne l'occasion de travailler le néoplatonisme. Durant ces années 60 il rencontre aussi Althusser, auprès de qui il redécouvre la pensée marxiste dont il a prit connaissance depuis longtemps déjà. « Au-delà et en deçà du discours » écrit Breton en parlant de cette rencontre « peut-être y a-t-il autre chose, quelque chose comme une sensibilité fondamentale qui relie les distincts ou les opposés ». C'est peut-être cette sensibilité là que recherche en son immense diversion la jeunesse de 1968, chez qui Breton voit « l'impossibilité de s'enfermer en quoi que ce soit, la nécessité pour toute détermination de rester éternellement une porte ou une fenêtre ouverte ». Au fil de lectures et de rencontres d'une surprenante diversité, Breton déploie rigoureusement ce germe de non être qui l’habite en élaborant sans cesse ses réflexions à partir et au-delà de ses autres avec qui il compose de manière fidèle et fantaisiste à la fois. En dialoguant avec chacun tout en avançant vers ce plus profond qu'il ne cesse d'écouter, il demeure jusqu'à la fin, 2005, un chercheur infatigable en sa quête d'une verticalité pointée vers ce qu'il nomme Le rien imaginaire de la Croix, néant par excès s'exhaussant d'un néant par défaut.