POUVOIR AU FEMININ : LA FIN D'UNE IMPUISSANCE

Cahier Culture et foi, Ces églises que nous sommes, 1977

 

Je suis venue à l'église au soir de Vatican II (1962-1963), dans un climat où le monde était regardé avec cette espérance que lui avait réservée jadis l'épître aux Corinthiens.

La création, l'humain, le mariage sont appelés à la régénération. On pouvait croire que le temps d'un nouveau rapport entre l'homme et la femme était venu. Les discours sur le mariage d'amour étaient à la mode et la femme y était revêtue d'une parure neuve : celle de l'égalité. Mais était-ce là autre chose qu'une inévitable concession, bien mesurée, à la modernité et surtout une décision de donner au mariage la seule raison d'être qu'il pouvait encore avoir dans la société bourgeoise : le couple.

Les formulations étaient mises au goût du jour et la pluralité des textes de l'Ecriture proposée aux fiancés pour la liturgie du mariage servait d'argument pour adoucir le texte d'Ephésiens V, (mari aimant, femme soumise), en le noyant parmi d'autres.

J'avais la naïveté de croire que le droit des femmes à l'intelligence était acquis dans l'église. J'y voyais une conséquence de l'égalité de l'homme et de la femme devant le salut. Mais mon étonnement n'avait pas fini d'être éprouvé.

Dans les groupes d'étudiants chrétiens que je fréquentais alors, bon nombre de filles se mariaient en affirmant que la vie conjugale commune avec un intellectuel chrétien leur permettrait d'avoir leur propre rôle de femme intellectuelle chrétienne. Or bien vite je m'aperçus que dans le mariage, comme dans la vie religieuse, le modèle de l'épouse mère étouffait le désir de la femme intelligente. Physiquement ou symboliquement une femme ne pouvait se définir que comme épouse et mère, exclusivement, c'est-à-dire toujours dépendante. Fallait-il donc que ce fut un destin? Je m'opposais à ce destin et cherchais des espaces d'église pour devenir une femme chrétienne pouvant parler, écrire, exister seule et en relation avec d'autres. Les groupes informels qui se multipliaient dès les années 65, mais surtout après 68, me paraissaient porter l'espoir d'un nouveau rapport homme/femme. Libre, par rapport à l'institution il ne serait pas contraint de préserver des modèles du passé pour sauvegarder certaines structures. Mais l'isolement dont ces groupes étaient menacés me fit chercher un lieu pour leur rassemblement. C'est ainsi que je vins à Saint-Bernard de Montparnasse.

           

L'expérience Saint-Bernard de Montparnasse

Si Saint-Bernard n'a pas réussi ce rassemblement, je suis pourtant restée dans cette assemblée qui m'a paru capable d'accepter ma recherche, théorique et pratique, sur mon existence de jeune chrétienne. Ce qui me plut et me plaît à Saint-Bernard, c'est que chacun peut exister sans honte et sans clandestinité. On est reconnu dans son expérience, même étrange ou marginale, dans ses relations, mêmes inattendues. On a le droit de mener une recherche spirituelle, qui que l'on soit et tel que l'on est. Il est donc permis d'exister comme femme, de se dire comme femme, et surtout d'interroger sur la femme une église locale acceptant de se mettre en question.

Il apparaît alors intéressant d'analyser pourquoi dans ce contexte, même à Saint-Bernard, la parole demeure, sinon une parole d'homme, du moins une parole très inégalement partagée, de même que le pouvoir. Les femmes étant là, pour la plupart, de même niveau intellectuel que les hommes, l'inégalité devrait se réduire à ce qui dépend de la seule hiérarchie : la présidence de l'eucharistie. Or dans la marge d'initiative possible on peut faire ce constat :

- le nombre de femmes prenant la parole dans les diverses réunions est toujours inférieur au nombre d'hommes

- les femmes ne prennent pas la parole dans les mêmes conditions que les hommes. Elles évitent de parler en public, mais sont présentées dans les rôles d'accueil ; elles n'ont pas en fait le même pouvoir de décision que les hommes, qui restent les meneurs des différentes rencontres.

 

 

Un interdit réservé aux femmes : l'interdit de la parole

La parole, impossible plaisir de femme, est un symbole de sa condition.

Historiquement, les femmes se sont trouvées tenues à l'écart de la parole, ce "logos" effet-reflet de la raison. Elles étaient représentées passives jusque dans la fonction qu'on leur attribuait en propre : la reproduction et elles étaient jugées incapables d'éduquer des enfants sans le secours de l'homme.

Théoriquement, les femmes sont écartées de la parole, par ce que la parole est elle-même un pouvoir. Plus ou moins efficiente, elle ne peut pas ne pas signifier, et faire ainsi de l'effet sur autrui.

 

Plaisir du corps qui éprouve sa puissance en parlant, plaisir de la culture par la maîtrise sur le monde qu'elle permet, plaisir du prestige dont on entoure le rhéteur habile, la parole n'est pas pour la femme qui a intériorisé son impuissance. La femme est faite pour le papotage et non pour la parole.

La parole se prend et toute prise suppose un combat. La prise de parole n'est possible qu'à celui qui a vaincu la crainte d'autrui et est devenu capable d'affrontements. Or pour la femme la difficulté se trouve redoublée, même dans la société bourgeoise, qui, dans son libéralisme, admet l'égalité de la femme et de l'homme devant la parole. Car cette société véhicule en effet des modèles contradictoires.

 

Elle désigne la parole comme désirable pour les filles en leur offrant un modèle de femme, encore rare mais possible, qui parle. Mais elles leurs présentent en même temps un modèle de soumission, de passivité, d'objets esthétiques, de fée du logis, de douceur. En effet, coutumes et convenances continuent à opposer à l'affirmation de la femme sujet-parlant la représentation de la femme comme objet d'échanges. En d'autres termes, la parole sérieuse, magistrale, souveraine, la parole qui fait autorité, n'appartient pas au désirable culturel féminin. Et si la parole est pour tous un art difficile, les difficultés en seront donc redoublées pour les femmes, du fait qu'elles ne sont pas autorisées à désirer y réussir.

 

Pourtant, et paradoxalement, étant donné leur histoire, les femmes sont massivement dans une meilleure situation que les hommes pour éprouver une autre dimension de la parole presque toujours masquée : la parole ludique, la parole comme jeu. Car la parole est bien jeu, elle procure une jouissance, inavouée par les hommes qui la rationalisent pour se la réserver. C'est pourtant le corps qui parle éprouvant sa puissance.

 

Or à Saint-Bernard, comme dans d'autres lieux d'église, les femmes semblent s'investir dans des fonctions et des rôles où la parole est au second plan. Et même lorsque la prise de parole publique est proposée à tous les membres de l'assemblée, elle s'y dérobe. Ainsi en 75/76, la célébration eucharistique du jeudi soir a été remplacée par une méditation conduite par une personne de la communauté. Pas une femme ne s'est proposée pour mener la méditation, alors que l'assistance était en majorité féminine. Et la même situation se reproduit pour toutes les animations de réunions, pour l'homélie, etc.

Sauf exception, les femmes s'excluent elles-mêmes ou elles sont exclues de la parole, et il n'est pas faux de dire que dans l'ensemble, femmes et hommes, trouvent cette situation normale.

 

Mais alors qui sommes-nous donc, rares femmes qui osons transgresser l'interdit de la parole ? Universitaire ou militante syndicale, avant d'être devenue parfois féministe, nous avons été formées avec les hommes et selon un modèle masculin. Nous sommes, comme les hommes, prises dans l'histoire de l'hégémonie de la raison, et nous n'arrivons pas à sortir de la représentation, seuls les poètes et les ratés du système y parviennent.

Nous faut-il être ses ratés du système? Je ne veux plus être la femme de service utilisée pour la bonne conscience des hommes, l'exception qu'on fait prendre pour la règle ; puisqu'elle le fait, c'est donc possible. Je ne veux plus de ces rôles qui me désolidarisent des autres femmes, ni de ces situations récupérées pour faire croire que le problème des femmes est résolu.

Je veux bien, femme, parler de la femme, de la femme que je suis, en quête de Dieu parmi les autres. Mais je veux énoncer une autre parole que celle attendue et permise par les hommes, une parole marquée par mon corps de femme.

 

Le féminin en marge de l'église

La situation de Saint-Bernard de Montparnasse me paraît relever d'une incompatibilité séculaire entre le féminisme et le christianisme ; je ne parle pas de l'esprit évangélique, mais du christianisme confisqué par un système de pouvoir et de savoir.

Lorsqu'on pense au nombre de chrétiens engagés, pour plus de justice, dans les syndicats et les partis politiques, lorsqu'on pense au rôle des chrétiens dans la mise en place des mouvements sociaux, on ne peut que s'étonner qu'aucune femme chrétienne ne se rattache explicitement aux mouvements féministes. Cette absence ne provient pas seulement des condamnations de la hiérarchie, mais de l'attitude des chrétiennes féministes elles-mêmes. Et leur résistance me paraît avoir d'autres causes que la peur de se faire manger à la sauce freudo-marxienne. Ces causes sont aussi en nous. N'avons-nous pas intériorisé les raisons pour lesquelles l'église s'est jadis opposée à une exemplaire levée des femmes : l'amour courtois ?

 

L'amour courtois comme modèle de l'incompatibilité entre le féminisme et le christianisme

L'amour courtois en son temps est un mouvement féministe. Ce sont les dames amantes qui ont acquis à l'Occident l'amitié entre hommes et femmes, cette amitié qui jusqu'alors n'a été possible qu'entre hommes. L'intime et tendre affection des semblables, philosophes de l'Antiquité, frères des premières communautés chrétiennes, chevaliers du Moyen Âge, attisent le désir des femmes. Pourquoi ne seraient-elles, épouses ou maîtresses, que des objets plus ou moins vénérés ? Ne sont telles pas aussi aimables et capables d'aimer ? Ne sont-elles pas suzeraines, capables de commander ? Ne sont-elles pas, lettrées, aptes à parler, à écrire des poèmes ? Ne sont-elles pas, désormais, désirées, les meneuses du jeu érotique, elles qui déterminent la mesure du plaisir ? Par une sorte de dialectique, l'amour compense la double inégalité sociale et sexuelle entre l'amant et la dame. La dame aime le troubadour, son vassal ; le troubadour aime la dame et en fait son amie. Cette égalité est la condition du couple. À la différence de la passion habituelle des amants, l'amour courtois, adultère pourtant, est durable, à distance ou proche. "L'échange des cœurs" fait de l'amour courtois un amour fidèle, éternel. L'asag, ce jeu érotique raffiné de plaisir et de tendresse, malgré l'exclusion du coït ou grâce à elle, en fait un amour charnel. Amitié, parole, érotisme s'entrecroisent ainsi nécessairement dans cette forme d'amour qui fait advenir le couple.

Est-ce par ce qu'il est adultère, et dissocié de la procréation, que l'église condamne l'amour courtois, lui reprochant d'être contre nature ? Sans doute. Mais la condamnation tient à d'autres causes dont la plus décisive n'est pas la plus habituellement admise. En effet, pourquoi des tentatives, comme celle de Hugues de Saint-Victor par exemple, pour concilier le couple amoureux et le mariage, se sont-elles trouvées étouffées par le discours écrit du magistère ? Avancer comme raison la condamnation de l'adultère n'est pas une réponse suffisante.

Faire droit au couple, au sens courtois du terme, c'était admettre la différence entre l'homme et la femme. C'était donc introduire une brèche dans le système de pouvoir unitaire de l'église. En d'autres termes, ce n'est pas seulement l'érotisme que l'église condamne avec l'adultère, mais la levée des femmes, à laquelle elle oppose une résistance inébranlable. Entre l'église et la femme considérée comme sujet, il faut bien déclarer, à ce jour, qu'il existe une incompatibilité. La seule femme autorisée et valorisée est une femme assujettie qui ne peut ni aimer, ni parler, ni jouir mais qui peut, par contre dans l'ordre de la grâce dépasser les hommes par sa disposition à se laisser aimer.

 

L'incompatibilité réitérée

Aujourd'hui l'idéologie de la société industrielle nous fait croire que l'individu peut tout ; la femme aussi donc. Au nom de quoi désormais la soumettre ? C'est une des contradictions du libéralisme que de servir indirectement, et contre lui, la cause des femmes

 

La dimension du mariage s'est rétrécie au couple, les femmes se sont acquis de nouveaux rôles, les relations de loisir, d'étude, de travail échappent de plus en plus à la ségrégation entre hommes et femmes. Malgré une persistance des modèles sexistes, malgré une inégalité des salaires à travail égal, on admet au moins théoriquement une égalité de droits.

 

Les discours du magistère s'en tiennent au vocabulaire de la complémentarité et de la collaboration qui sauve la hiérarchie masculine et permettent de conserver intacte le système du pouvoir ecclésial. Le couple est récupéré au profit du mariage qui réconcilie dans son unité les pseudos différences de la complémentarité. Le féminin est toujours présenté comme le supplément, le suppléant, du masculin, dont il n'est jamais indépendant, alors que ce n'est pas du tout réciproque.

 

Certes des mouvements chrétiens combattent pour l'égalité entre hommes et femmes. Les deux plus représentatifs sont, peut-être, les mouvements de religieuses aux USA, et le mouvement international Femmes et hommes dans l'église dont le siège est à Bruxelles

 

Mieux formées intellectuellement que le clergé, les religieuses aux USA occupent de nombreux postes d'enseignement universitaire en théologie et philosophie et sciences humaines. Au nom de la convenance entre ce service et celui du rassemblement de la communauté, les religieuses réclament l'accès au ministère sacerdotal, par celles qu'une communauté chrétienne et l'évêque jugeraient, conjointement, aptes à cette fonction, et qui en auraient le désir. Cette possibilité leur paraît un test de la reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes dans l'église. On connaît la réponse du Vatican…

 

Non directement axée sur l'accès des femmes au ministère, le mouvement Femmes et homme dans l'église prend position devant tout projet, toute décision, ayant une incidence directe sur le rapport hommes/femmes. Le mouvement estime, par exemple, que, dans la conjoncture présente, l'ordination des femmes pourrait renforcer le système de pouvoir qui censure la sexualité, en neutralisant la différence des sexes, au lieu de transformer le système de pouvoir en reconnaissant cette différence. Il n'empêche que le mouvement a dénoncé la faiblesse et la fausseté des arguments invoqués par le magistère contre le sacerdoce des femmes : presque toutes les raisons invoquées supposent une infériorité des femmes, niée cependant avec la plus grande incohérence ou la plus grande mauvaise foi.

Le mouvement a par ailleurs pris parti pour un certain nombre de luttes féministes : travail, salaire, contraception, mais en France au moins, il n'est pas en relation avec les mouvements féministes, et aucune femme chrétienne ne prend part aux productions de la librairie les femmes ni aux recherches d'un groupe comme politique et psychanalyse. C'est un signe.

 

Or ce qui, depuis 73, caractérise l'écriture féministe, c'est que la femme écrit de la femme, de son corps de femme, avec son corps de femme joyeusement éprouvé et non plus vécu comme un corps castré par la magnificence masculine. Puis, éprouver joyeusement son corps dans le plaisir sexuel, dans la grossesse et l'allaitement, dans le geste de l'écriture, dans l'élan de la parole, sentir ses sens, son sexe, son cerveau, se laisser désirer sans obligation, ni culpabilité c'est faire l'expérience de la puissance, ce gai savoir.

Mais n'est-ce pas là que réside précisément l'abîme entre le christianisme et le féminisme ? Le christianisme a développé l'amour du pouvoir impuissant. Il faut pour exercer le pouvoir passer par la castration symbolique du sexe, car le pouvoir est, entre autres, le pouvoir de censurer la sexualité. La femme impuissante -elle n'a pas de sexe puisqu'il est caché et fécondé par l'homme- ne peut pas prétendre au pouvoir, elle n'a pas de tête. Ainsi le pouvoir ecclésial masculin est-il entièrement défini sur un modèle de censure et de domination.

Pour déconstruire ce modèle et inverser le rapport du pouvoir à l'impuissance, il faudrait que des femmes aussi bien que des hommes puissent exercer le pouvoir. À cause même de l'expérience totale et non partielle, sexe et/ou tête, qu'elles font de leurs corps lorsqu'elles transgressent l'interdit de "puissance-jouissance", les femmes permettraient de relativiser le pouvoir et d'entretenir avec lui le rapport ludique et humoristique qu'on a avec la puissance. Toute la pratique du pouvoir s'en trouverait transformer. Mais que de chemin encore à parcourir.

 

Enjeux et espérances du féminisme un triple enjeu

 1) Redéfinir le pouvoir en briser le modèle exclusivement juridique pour en manifester une autre face : l'expérience joyeuse de la puissance du corps.

 

2) Faire droit aux désirs de l'autre toujours inhibé en Occident par le désir du même. Tel est le vœu de notre espérance : l(a)es mères, l(a)es femmes, modèles de l(a)es filles, désignent le féminin comme désirable et non plus un destin auquel il faut se résigner. Elle désigne également le masculin comme désirable, et non plus d'une envie jalouse, car c'est en tant que femme que la femme l'aime autre, dans sa propre bisexualité féminine, dans la relation amoureuse avec un homme. Alors le désir est désir de l'autre tout entier dans sa singularité.

La femme, joyeusement grosse, veut l'autre, l'enfant, vie neuve et sans pareil, qui ne  lui ajoute rien, ne lui ôte rien, mais la laisse se sentir puissante dans sa gestation et son enfantement. La séculaire connivence entre la femme et la vie prend un nouveau sens : la femme produit l'autre en vie, jouit de la vie, de sa vie, de la vie de l'autre. Fini le temps où elle servait la vie pour l'homme, pour lui faire des fils, et de nouvelles matrices à faire des fils.

 

3) Refaire un tissu social autre que celui de l'ancien patriarcat et opposé à l'individualisme de la pseudo société libérale. Certes la famille conjugale a contribué à établir l'idée d'une égalité entre hommes et femmes mais ce type de famille, où l'individu, définit d'abord par le travail, cherche un refuge affectif, ne permet pas à la femme, ni à l'homme d'ailleurs, d'habiter son corps. Le couple est trop étriqué pour laisser se déployer et se réaliser nos bonnes et multiples envies de plaisir : faire l'amour, faire un enfant, les éduquer avec d'autres, parler, écrire, travailler, célébrer ensemble la fête. Ce n'est pas le couple qui peut définir un espace où chacun peut vivre seul avec d'autres, autonome et relationnel, un espace où les vieillards seraient rendus aux enfants, les enfants aux vieillards, les enfants aux enfants, sans les couper des adultes, un espace où se côtoieraient enfin réconciliés la consanguinité et l'extra consanguinité, dans une vie sociale digne de ce nom. Car il est temps d'offrir aux désirs des enfants, des mères, des sœurs, des aïeuls et des pères, des frères, des aïeuls multipliés qui ne fixent pas le désir sur un ou deux visages destinés à devenir obsédants.

Le christianisme pourrait encourager des pratiques originales s'il permettait le retour du refoulé : le retour de la différence.

Le dieu du christianisme est un Dieu trois, qui pose encore en créant une autre altérité. Chaque personne en Dieu, Père, Fils, Saint esprit, et chaque autre créé par Dieu est singulier.

 

Réunis pour célébrer l'altérité de Dieu et l'amour de l'autre l'assemblée qui relie des individus uniques et différents, désire s'organiser sur le modèle de la différence, ni hiérarchique, ni cléricale, elle se sent solidaire des types de vies qui respectent l'altérité.

Ainsi, fondamentalement, la lutte des femmes me semble comporter la même exigence que le christianisme : respecter et promouvoir la différence. En effet, la femme éprouve son corps en totalité, comme puissance, elle s'oppose à la centralisation monarchique du couple, la tête, la raison, le masculin, qui impose sa dictature et maltraite le reste c'est-à-dire le sexe, le corps, le féminin.

 

Or le type de rapports hommes femmes confirmé, à la suite du texte d'Ephésiens V, par une représentation de la sacramentalité du mariage comme mystère de soumission et d'autorité, d'obéissance et d'amour, relève d'un modèle monarchique du couple. Paul n'adoucit en rien l'inégalité qu'il établit faussement entre l'homme et la femme. Il veut rendre la femme à l'homme pour restituer au mariage sa fonction de génération, ce que les religions de son temps ne parvenaient pas à réaliser. Mais ce but est en contradiction avec l'expérience que fait la femme d'être le sujet de son corps.

Il est temps de mettre fin à la représentation du mystère de Dieu par un mariage où l'homme est maître et tête, et la femme esclave et corps. Si le mariage est un mystère c'est autrement qu'il faut le jouer : symbole de la différence entre le masculin et le féminin personnalisé dans le couple. L'amour hétérosexuel, engagé dans l'histoire, renvoie aux mystères de la différence du Dieu trois, de l'homme Dieu et des assemblées chrétiennes singulières. C'est donc d'un même mouvement qu'il faut casser le modèle de la femme objet, de la femme mère-enfant, et rentrer dans le jeu de la différence, ce jeu que la femme chrétienne devrait jouer et dont elle devrait jouir autant qu'une autre, car c'est là aussi le jeu divin.