Une écriture pour un tombeau, Ricœur, Mallarmé, Breton

Conférence donnée lors d’une journée sur Ricœur et Breton, 2012

 

C’est dans le souvenir joyeux des 90 ans de Paul fêté avec des amis autour de la Revue Esprit, dont Ricœur, que l’idée m’est venue de vous proposer une promenade en pensée dans leur livre posthume : Vivant Miroir de l’Univers et Vivant jusqu’à la mort suivi de Fragments et encore, pour ce qui est de Breton, dans des inédits sur l’ordinateur (resteraient les carnets - j’en feuillette quelques-uns qui ne semblent pas démentir mes hypothèses) les deux Paul réunis à 10 ans de l’âge mythique : cent ans (sans temps ?) nous donnaient à voir deux hommes certes mûris mais bien vivants, pleins de gaité et d’humour, capables de « controverse », philosophes jusqu’au bout, et appréciant les saveurs. La lecture du livre de Ricœur  ne pouvait qu’interpeller la psychanalyste que je suis, passionnée par la clinique du grand âge jusqu’à la mort :

1.    Qu’est-ce qu’un livre posthume ?

2.    Comment écrit-on quand on se rapproche de la mort, quand on perd les siens ?

L’Ecriture peut-elle exorciser la mort ? Peut-elle conjurer la peur des morts ?

L’Ecriture a-t-elle le pouvoir de donner aux morts une sépulture, pour permettre aux vivants d’édifier pour les morts un tombeau et de vivre vivants ?

Ne faut-il pas déplacer la question de Semprun : l’écriture ou la vie ? L’écriture ou la mort ?

I  L’ECRITURE, L’ŒUVRE, LA TRANSMISSION

1.    Le temps immortel de l’œuvre

Autre le temps de l’écriture qui appartient au temps mortel d’une vie d’homme, découpée dans le temps historique entre la date de la naissance et celle de la mort, autre le temps de la publication, temps de l’œuvre « dans une durabilité ignorante de la mort »[1]. Le nom de l’auteur peut être rendu immortel confondu avec l’œuvre qui porte son nom. L’auteur obligé de se retirer de l’œuvre qui, achevée, existe en dehors de lui, se replie dans le temps mortel de la vie, alors que les œuvres peuvent « s’excepter du temps de la vie et se réinscrire dans le temps transhistorique de la réception de l’œuvre par d’autres vivants qui ont leur temps propre »[2]. Le temps mortel du vivant se répartit en trois périodes : le début, la fécondité, le déclin. Un homme vieillissant, un vieil homme, sur le déclin donc, ressent douloureusement la dissociation entre le temps immortel de l’œuvre, dont il s’éloigne, et le repli dans le temps mortel. Car c’est pour lui le temps de la retraite, du disparaître, de l’avoir-à-mourir. L’œuvre est achevée, ouverte ainsi à l’interprétation : elle appartient aux autres. Mais le temps du déclin n’est-il pas le temps de l’écriture, le temps qui presse d’écrire ? Ricœur et Breton n’ont-ils pas écrit jusqu’à la mort comme si pour eux, être vivant c’était d’écrire malgré les misères et les pertes multiples, avec elles ?

 

2.    Livre posthume et ultime ouvrage

A la charnière entre le temps de la vie menacé par sa fin et le temps de l’œuvre, un type de livre particulier : le livre posthume. Ce peut être un livre ouvrage conçu comme le dernier (livre), écrit souvent dans le temps de la « retraite » le temps de la vieillesse si l’auteur meurt avant sa parution, le dernier livre sera un livre écrit comme les précédents avec un projet de publication. C’est par hasard qu’un tel livre est un livre posthume. Le dernier livre de Breton « Vivant Miroir de l’Univers »[3] appartient à ce cas de figure. Breton est mort le 2 avril 2005, le jour où le directeur de la collection Philosophie et Théologie aux éditions du Cerf devait l’informer qu’il publierait son ouvrage. Breton aurait pu mourir plus tôt ou plus tard. Jean Greisch raconte, dans la Préface, l’angoisse dont Breton dit avoir été saisi devant les rayons vides de sa bibliothèque le jour où tous ses livres, avec lesquels et dans lesquels il avait pensé, et vécu, et dont il avait fait don à l’Institut Catholique de Paris, y furent transportés.  Lors de la cérémonie d’ouverture du Fond Breton en juin 2003, il s’exclama qu’il allait pouvoir alors « recommencer ». Le même jour, il confia à ses amis son désir d’écrire un ultime ouvrage qui serait une sorte de monadologie. Le titre leibnizien de cet ouvrage testamentaire, trouvé par Jean Greisch, convient au regard porté rétrospectivement par l’auteur sur son œuvre à partir de la dyade originelle de l’être dans et de l’être vers.

Posthume, ce dernier ouvrage serait à l’œuvre de Breton ce qu’est à l’œuvre de Ricœur, Réflexion faite, publié en 1995 du vivant de Ricœur. A cette date, Ricœur se laisse écrire les textes manuscrits insérés dans une chemise et non destinés à la publication, qui composeront avec d’autres écrits plus tard, le livre posthume[4].

Le dernier livre de Breton est une autobiographie intellectuelle et spirituelle, une page d’histoire concernant les institutions universitaires romaines, avant et juste après la guerre de 1940, concernant aussi les misères de la guerre et de la captivité sans oublier de mentionner les bonnes rencontres qui ont développé l’esprit et ouvert sur l’interreligieux, c’est aussi et d’abord une réflexion sur la logique de l’œuvre. Le livre posthume de Ricœur nous donne à lire des fragments qui pour moi évoquent l’écriture endeuillée de Mallarmé après la mort de son fils Anatole[5].

Ces deux livres posthumes de deux philosophes éminents ont valeur de testament. On les lit après la mort de leur auteur. Celui de Breton est contemporain de son testament notarié. Il est du côté de l’œuvre, achevé donc. Il porte des traces de ses dernières volontés.

 

3.    Réflexion sur la logique d’une œuvre : une Transmission délibérée

            Ce n’est pas une lecture de l’ouvrage que je propose ici - je l’ai faite dans la revue Esprit[6], mais un témoignage concernant l’héritage que je reçois avec gratitude, comme Breton nous a appris à recevoir.

a)    de la dette et de la gratitude        

Breton ouvre son testament sur cette question : « qu’as-tu que tu n’aies reçu ? »[7] Ce testament inscrit la transmission dans la transmission que d’autres ont laissée. Breton nous lègue l’exigence d’une inconditionnelle hospitalité de l’esprit, dont l’intellect d’Aristote qui n’est rien et peut tout devenir (intertexte favori de Breton) serait le paradigme. Tout se construit parce que tout aussi s’accueille, se reçoit. L’hospitalité fut le style de vie de Breton dans toutes les maisons qu’il a habitées. C’est l’hospitalité qui caractérisait sa manière d’être enseignant et chercheur, car pour lui - le maître, à la suite de celui qui n’a ni père ni maître (Mt 23,7) fait surgir, improbable et imprévisible, un chemin de vie et de pensée[8], sans jamais peser sur les autres, sans exercer sur eux une quelconque domination, sans les tenir sous tutelle, le maître est celui qui laisse être chacun comme s’il était cause de soi.      

b)    cause de soi - la forme native de la liberté

De la cause de soi, Breton fait la clé de sa métaphysique[9]. Il place à l’origine de son itinéraire philosophique et spirituel « l’expérience jubilatoire de se faire soi-même ce qu’on a à être »[10], ce qu’on veut être. Cette expérience ne va pas sans l’épreuve « d’un doute universel relatif à toute vérité se proposant comme telle »[11]. Ce doute est souvent pour chacun traversé d’un éclair éclatant de sa seule fugace fulgurance. Pour Breton, c’est l’intuition de la relation inscrite dans la théologie trinitaire et une originale mariologie qui honore en Marie qu’elle soit toute relative à Dieu[12].

L’être, dont Breton, en son dernier livre, fait l’histoire de Parménide à la Phénoménologie, compose toujours l’être dans et l’être vers. Breton à partir de cette dyade primitive déplie sa métaphysique et fait la synthèse d’une ontologie inséparable de la phénoménologie qu’il ouvre sur « une conversion anthropologique ».

Liberté et générosité constituent « la rupture instauratrice »[13] à laquelle se heurte la réflexion sur l’être en tant qu’être.

C’est dans des textes dont il hérite et qu’il fait siens, que Breton pense la cause de soi (Aristote La philosophie activité qui ne sert à rien M  A 952 25-30, Plotin l’Un comme s’il faisait ce qu’il veut être, comme s’il était cause de lui-même En V 18, 40 ; St Thomas l’homme libre opposé à l’esclave agit par lui-même, pour lui-même, est ainsi cause de soi (Commentaire de l’Evangile de Jn XV, 15).

Victoire sur toutes les formes d’esclavage, la cause de soi est la forme votive de la liberté, qui se heurte à des servitudes, dont on n’aura jamais fini de se libérer. Mais la servitude ne peut-elle pas trouver sa sublimation dans le service des autres et la soumission volontaire en faveur de l’autre[14].

La cause de soi est comme une donation que chacun de nous, à sa manière, a à remettre sur le métier puisque l’ontologie éclate, s’éclate en odologie. De ce qui est donné chacun peut faire ce qu’il veut : il en est entièrement responsable.

c)    Responsabilité et éloge de la contingence

Breton pense la vie de l’esprit sous le signe du ?  Comment ne pas se méfier des réponses toutes faites surtout de celles qui se croient définitives. Toute réponse - Respondeo - engage la responsabilité de celui qui l’élabore.

Au soir de sa vie Breton nous lègue la responsabilité de penser le monde et de le transformer. Enjeu politique, le souci de l’autre est indissociable du souci écologique. Dans le vide d’une distance, exercice que nous avons auprès de Breton appris, nous avons à laisser derrière nous des manières de penser le monde. Lui-même n’a-t-il pas pris le risque, à partir de sa dyade, d’une nouvelle interprétation de l’être-au-monde ? L’être-au-monde, pour penser et construire le monde, nous oblige à ne pas être du monde, immergé dans le tout et donc empêché de penser, mais à être-dans le monde, là où s’élève l’humaine condition. Le commentaire cordial de l’Evangile de Jean largement déployé dans plusieurs inédits, se poursuit. Il s’en suit que Breton réhabilite, une dernière fois, la contingence, le jeu des possibles, qui autorise la nouveauté en la fraîcheur de ses commencements.

 

d)    Le déplacement de l’absolu : vers une poétique

Juste avant de terminer sur les autres et l’ailleurs, Breton reprend la question de Dieu et du divin en l’élargissant à d’autres traditions.

Un Dieu mourant sur la croix, du verdict prononcé lors du procès de sa parole pourrait-il se penser autrement qu’en termes de néant par excellence ? Instance critique de toutes les institutions, la croix exige un renoncement aux formulations dogmatiques et aux représentations qui les accompagnent. Il faut le redire, le Verbe de la croix en lequel le divin prend sur lui la faiblesse et la folie « ne se dit ni dans les termes d’une théologie négative, ni dans un langage conceptuel »[15].

C’est dans une poétique que s’écrit l’Evangile, c’est dans une poétique seulement que peuvent s’exprimer les prières et les pratiques évangéliques qu’on n’a jamais fini d’inventer. Une fois encore, Breton rappelle la singulière dévotion de Mt XXV : qui fait de l’autre en son manque, le lieu du divin. Jésus dépose dans les crucifiés du monde son propre Je. Je cite « La présence d’un énigmatique je à l’intime des plus déshérités transfigure tout geste d’humaine compassion en service divin du verbe en croix »[16]. Toujours la même audace ! Breton nous laisse dans la grandiose fiction d’un Dieu comédien, l’Inespéré, et il nous confie la tâche d’une poétique de la résurrection.

Dans son dernier ouvrage, Breton nous donne à lire un texte rigoureusement construit à partir de ses intrépides questions ; en cela il ressemble à son premier livre : esse in et esse ad, mais plus que jamais, le dernier livre est un morceau de littérature. L’art de Breton est de faire de la logique en écrivant des poèmes en prose.

 

II   L’ECRITURE ET LA MORT : UNE ECRITURE DE LA DISPARITION

Le livre posthume de Ricœur qui rassemble sur le beau titre de Vivant jusqu’à la mort un essai de 90 pages écrit en 1995, dans les derniers temps de bouleversement de la fin de vie et de la mort de sa femme sa femme, et des fragments très courts parfois écrits10 ans plus tard, juste avant sa mort, tel celui sur le temps qui m’a permis de commencer. Ce sont des méditations sur le sens de la mort du Christ, sur l’œuvre, l’écriture, l’être philosophe, la saga biblique, le Notre Père, la résurrection…

J’éclairerai les fragments (dont l’essai) de Ricœur  à la lumière des vers en éclats que Mallarmé a écrit après la mort de son fils de 8 ans (1879) rassemblés dans un ouvrage posthume, paradigme d’une écriture du deuil et de la disparition.

 

1.    Une écriture fragmentaire

Le poème de Mallarmé pour un Tombeau d’Anatole est composé de 202 feuillets de petit format que Mallarmé avait demandé à sa fille de brûler. Ecrit après 1879, il est publié par J.P. Richard en 1961[17]. Le poème édifie en mots le tombeau dans lequel l’enfant mort va pouvoir reposer pour qu’il puisse, lui le Père endeuillé, écrire, mourant dans son poème, écrire et mourir, pour vivre peut-être, non sans tenter d’éterniser l’enfant « de le recommencer en esprit ». Réduit au silence comment dire l’impossible à dire ? Le poète écrit le mot dans d’énigmatiques fragments brisés, mais à quel prix Il dit être mort avec son fils, dans ce qu’il nomme une alliance, un hymen duquel il serait mort. : « Tout ce que mon être a souffert, pendant cette longue agonie, est  inénarrable mais heureusement je suis parfaitement mort ».[18]

Travaillé par la mort, le poète des Tombeaux (Edgar Poe, Baudelaire, Verlaine et d’autres) construit celui de son fils, le sien, selon le mouvement que repère J.P Richard dans ses autres hommages funèbres : « enfoncement, maturation sépulcrale, résurrection »[19] . Ce que Mallarmé cette fois écrit c’est la séparation sans retour, l’arrachement, le choc de la mort-syncope, la fin de l’enfant qui fait choir les rêveries paternelles qi l’aurait élevé, homme debout et en marche. C’est le mort même qu’il écrit dans une écriture haletante, chancelante, déréglée, trébuchante, cassée, elliptique et trouée, en suspens toujours en train de trahir l’ordre hésitant qu’il voulait leur donner. Énigme des énigmes, énigme portée à l’extrême, l’écriture du mort

« la mort… chuchote
…je ne suis personne
Je m’ignore même
(Car les morts ne savent
Pas qu’ils sont
Morts… ni même qu’ils meurent »
[20]

 

…Je ne suis personne…Personne l’endeuillé ? Le mort ? Sans conscience et sans nom, le mort. Que reste-t-il sinon une inscription sur une tombe, une plaque qui s’efface au fil du temps. Qui se souviendra du nom du Père dans quatre générations ? (résignation de Péguy dans Le Porche). Le Père n’a plus de nom. L’endeuillé, tout endeuillé, a perdu à jamais la part de soi que le mort emporte, cette part inconnue, autre, qui jamais ne naîtra. Le Père ne sait pas qui il est

« Pas connu
Mère, et fils ne
M’a pas connu !-
-image de moi
Autre que moi
Emporté en mort »
[21]

 

L’endeuillé suit le mort et devient le mort :

 

« Tu peux, avec tes
petites mains, m’entraîner
dans la tombe - Tu
en as le droit –
moi-même
qui te suis moi, je
me laisser aller-
mais si tu
veux, à nous
deux, faisons…
[22]
une alliance
un hymen, superbe
- et la vie
restant en moi
je m’en servirai
pour….
[23]
Plus de vie pour

_
moi
et je me sens
couché en la tombe
à côté de toi »
[24]

 

L’identification au mort, la fusion avec lui dans une alliance, un hymen, grâce à l’écriture, se transforme en transfusion : "la vie restant en moi, je m’en servirai pour"…pour faire vivre l’enfant mort, pour vivre ? Pour que vivent ceux qui n’ont plus de vie, le père et le fils, le père qui s’enterre avec le fils, à moins qu’il ne mette en lui la tombe du mort, le père et le fils mort, comme deux frères ? De ce restant de vie en lui, peut-être le poète s’en servira-t-il pour plus de vie, davantage de vie, en rendant immortel le fils qu’il écrit et qu’il fait rentrer dans le temps de l’œuvre. Le poète s’en sert pour écrire et peut-être pour vivre, laissant le mort dans la tombe du cimetière de Samoreau, hors de lui. Il se donne dans le poème un corps étranger qui, mettant le mort au dehors, exorcise le petit fantôme. Il est mort. Le "doit mourir" ne peut plus que s’écrire dans l’espace du poème. "La vie restant en moi je m’en servirai pour", pour rien peut-être, pour écrire, à partir d’une suspension, d’un vide, quelque chose s’écrit, inachevé et inachevable. Je pense à la classe nulle de Breton. L’enfant vit éternisé, à travers le père qui le pense, le poète qui l’écrit. Le père accomplit la tâche qu’il avait rêvée pour l’enfant, et donne à l’enfant un avenir. L’enfant vit jusqu’à la mort du père, moment où pour l’enfant sonnera pour de bon le glas, mais il vit pour toujours sauvé dans le poème en lequel s’efface le « je » énigmatique du poète, « à qui il appartient de ne pas le laisser perdre ». C’est parce qu’il n’est rien, personne, que le poète écrit et écrit rien, peut-être. P. être est le dernier mot du poème, comment ne pas penser au rien actif de Breton, le poète pourrait en être l’icône.

 

2.    Du renoncement à l’imaginaire des morts

La publication posthume de Ricœur qui vient s’ajouter à l’œuvre est celle de feuillets qui n’étaient pas destinés à la lecture publique, point commun avec Mallarmé. Des notes, des brouillons qui n’en sont pas moins des manières philosophiques de penser l’ouvrage inachevé, Vivre jusqu’à la mort, n’aura jamais la rédaction définitive. Ce qui rend ces textes plus vivants que les autres, plus touchants, dont l’écriture a été interrompue par la mort même de Ricœur. Le dernier fragment est écrit à Pâques 2005 un mois avant sa mort. Ces textes fragmentaires sont écris dans une écriture trouée, barrée, biffée, en suspens, un peu comme celui de Mallarmé celle d’un homme éprouvé par la fin de vie, de sa femme d’abord, puis la sienne, mais sans que la gaité de vivre soit atteinte. Les questions se bousculent, des détours mettent à mal les plans ébauchés, les associations cultivent une certaine allusivité.

a)    Démystification de toute représentation de la vie des morts en continuité avec le temps de la vie

Dans son essai Vivre jusqu’à la mort Ricœur livre un combat contre la mort, contre les images de la mort et des morts confondus, combat soutenu par l’appétit de vivre. Dans cet essai de philosophie (cf. Fragment 01) Ricœur trace dans l’écriture les voies d’effacement de soi jusqu’à la perte de « l’ipséité » peut-être parce que il y va d’être vivant jusqu’à la mort se tenant à sa place sans y tenir ; il y va de la possibilité qu’émerge en soi, en place de soi, un autre, des autres que soi, un soi inconnu, autre, dans une exubérante déprise.

Ricœur se propose et nous propose d’apprendre –il n’est jamais trop tard- de vive, vivant jusqu’à la mort. Renoncement et gaité qui tiennent à l’espérance. La clarification concernant les représentations de la mort, des morts, à laquelle il accorde une valeur thérapeutique, s’accompagne d’un ascétique chemin de détachement à la manière de Maître Eckart et d’un travail de deuil freudien. Pour éviter ce concept problématique et le terme de deuil, je lui substituerai celui de consentement à perdre, plus évangélique et plus proche de l’expérience clinique de la vieillesse et de la fin de vie. Ricœur déconstruit les représentations imaginaires de la mort qu’il ramène à des « projections imaginaires d’un soi identitaire après la propre mort ».[25] Ce que nous avons à perdre c’est l’illusion de rester le même (indifféremment idem et ipse ?) dans le même temps, celui de la propre vie avant la mort et celui des survivants qui me survivront. [26] Nous sommes dans la double impossibilité de nous représenter ce que sont nos proches morts et de nous imaginer mort. L’acceptation de la mort « la perte de nos chers disparus anticipe celle que d’autres proches également auront à faire de nous-mêmes »[27]. C’est à un scepticisme gai que Ricœur nous entraîne : les vivants sont vivants jusqu’à la mort et les morts sont morts. D’eux nous ne savons rien, rien non plus de notre mort à venir. Le détachement consiste à renoncer à toute idée de survie après la mort, de vie après la mort, d’interrogations sur le sort des morts « que sont, où sont, comment sont les morts »[28]

 

b)    Exorcisme de la deuxième figure de la mort : le mourir comme événement

Pour exorciser la mort Ricœur propose une clarification opérante entre le moribond et le vivant. Voir l’autre qui va mourir – on le sait sans savoir ni le jour ni l’heure- comme un moribond c’est porter sur lui le regard qu’on jette sur le cadavre. Il n’y a de moribond que pour un spectateur qui projetterait sur le mourant l’issue fatale dont il est menacé, alors que le mourant lui ne se perçoit pas comme moribond. Cette lugubre image anticipe l’agonie comme fin de partie terrifiante, non d’un mourant mais du moribond que j’ai si peur d’être un jour parce que j’imagine voir celui qui va mourir sous un masque mortuaire. Je le vois déjà mort, figé. L’anticipation de l’agonie du moribond est le noyau qui alimente la peur de la mort. Ricœur ouvre des pistes pour une éthique de l’accompagnement que Breton présente dans un inédit, L’être là[29]. Il s’agit tout simplement d’être-là, après et avec ceux qui, jusqu’a la mort sont vivants en relation en en devenir. Etre là, d’une présence active, d’un agir immanent, qui donne ce qu’il n’a pas. « L’être là, de sa simple présence diffuse un certain air qui, respiré par ceux qui le ressentent, en élargit soudainement l’espace étroit où il se trouve et donner au cœur qui se resserre un instant de libre expression ».[30] Le malade, le mourant, quand bien même se lamente-t-il mobilise toutes ses ressources de vie. Dans ce généreux élan, il fait à celui qui est auprès de lui la grâce de lui laisser penser qu’il y est pour quelque chose. Car le mourant vivant n’a plus de temps à perde, il laisse émerger l’essentiel que Ricœur appelle le religieux commun, hors de toute confession et de toute appartenance.  Seul, conviennent à dire à celui qui va mourir, des poèmes ou des prières qui enveloppent le mourant de leur chantante sonorité. Certes l es seul à mourir mais il ne meurt pas seul. Il ne suffit donc pas de dire, comme Epicure, que nous n’avons pas d’expérience du mourir, mais nous ne pouvons pas même en appréhender le phénomène.

 

c)    Démystification de la mort personnifiée en grande exterminatrice.

La méditation de Ricœur autour de la mort, traversée par la livre de Semprun, L’écriture ou la vie, se heurte à la question de la mort après Auschwitz. Comment démystifier la figure de l’imaginaire en laquelle moribonds et mort forment une masse indistincte ? Celle de l’impitoyable ravageuse à l’œuvre dans les camps ? Cette figure de la mort est celle qui correspond aux temps des grandes épidémies. La mort harcèle les vivants qui semblent lui être tous destinés. C’est la mort hantise. Une telle mort, plus réelle que la vie n’est pas l’issue d’une maladie, ni même d’une maladie contagieuse, incurable, même si dans les deux cas on pense à une mort qui tue, à une mort criminelle. « Elle vient de cette région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité »[31]. Or de ce mal absolu le retournement en aide fraternelle est possible. Certains en furent les premiers acteurs, ceux qui ont sur faire jaillir de leur pure présence  une parole poétique comme une prière – tout à l’ultime est prière- en demeurant là auprès de celui qui allait mourir. La fraternité pour la vie appelle l’écriture. Entre l’écriture et la vie il n’y a pas l’alternative qu’avait imaginée Semprun. Seule l’écriture peur faire saisir quelque chose de l’horreur dont certains ont été témoins et transmettre la prévalence de la vie sur la mémoire de la mort. Ils sont vivants, non revenants, ce ne sont pas des fantômes. Chacun a à survivre, sans mérite et sans faute, à la mort des autres. Le renoncement à l’imaginaire des morts et de la mort, conjugué avec le travail de mémoire, est la condition de la vie pour tout survivant à la mort des autres, dans les camps, à la mort ordinaire des autres.

Un tombeau pour les morts, un tombeau pour qu’un jour les autres nous y mettent, morts, pour pouvoir vivre sans nous : œuvre de l’écriture tourmentée entre consentement à perdre la vie et gaité de vivre, de laisser vivre. Ce que nous lègue, chacun différemment Ricœur et Breton, n’est-ce pas ce que seul un vivant peut donner : le transfert sur les autres qui viennent après toi, de son propre amour de la vie (formulation de Ricœur) ? Il me faut encore parler des formes brèves de Breton qui ne correspondent pas à une écriture de la disparition, pour nous laisser mener par Breton et par Ricœur vers une poétique de la résurrection. 

 

 

III. POUR UN TOMBEAU DES MORTS. LA MORT N’ACHEVE RIEN

1.    Ferveurs spéculatives sur la mort et le mourir

Beaucoup de formes brèves inédites de Breton sont l’expression de ses ferveurs spéculatives, en particulier celles qui se rapportent à la mort (2OOO), à la question sans réponse d’un au-delà de la mort (2004), à la résurrection (2004). Ces formes brèves sont rigoureusement composées essai ou méditation sans trébuchement sur l’engendrement réciproque de la vie et de la mort. Breton écrit-il des mythologiques ou des essais philosophiques, une phénoménologie de la mort ?

a)    La mort et le mourir.

Tout au long de son œuvre, en particulier dans RQ, Breton soutient une conception de la mort proche de Spinoza et de Bichat. La mort, loin d’être unique, d’être un événement insécable « se pluralise à l’infini ». Pour résister à la mort le vivant ne cesse de vivre des morts partielles, de mourir. Breton démystifie la mort en la pensant comme mourir, sans minimiser son caractère dramatique. La mort fait choc car mourir signifie « la nécessaire impossibilité de mon actualité comme présence au monde »[32] Avoir à mourir c’est perdre définitivement cette présence, en priver les autres proches. Le je de je suis ne sera plus là un jour. C’est bien le je qui meurt sans rémission, ce je qui dit je suis mon corps, corps au monde, capable de s’élargir aux dimensions du monde, et de le penser dans le vide d’une distance : corps sensible traversé par le transit des relations au monde qui en font un être-vers. Et c’est pour cela même que je ne cesse de mourir et que je dois mourir. La mort n’existe que sous la forme de la mort de l’autre et de sa fantasmatique, le mourir enveloppe tout ce qui est et ce qui advient. L’acte de mourir est à distinguer du phénomène de la mort ; c’est un verbe d’action et non un substantif. Le mourir définit encore la mort-fonction[33], instance libératrice qui met à distance de tout. Ce qui est et permet de voir les choses autrement[34]          

           

b) Un étrange concept

Pour penser l’ouverture du devoir-être qi, pour Breton sous-tend le culte des morts dans toutes les cultures, il s’esbaudit en quelques "cabrioles métaphysiques", sans dérive ontologisante. Il jongle avec un concept étrange en s'inspirant du « corps germinal » des épitres de Paul ; celui de corps spirituel qui prend sens dans sa théorie des "niveaux de corporéité". Dans une double référence au modèle kantien du je transcendantal qui accompagne toute représentation sans être aucune d’elles et celle de "corps mystique des esprits" dont le monde des choses et des êtres en leur diversité serait l’expression, Breton incline du côté « d’un destin de l’esprit qui transcende celui des corps au lieu de l’accompagner ».[35] L’acte d’exprimer accompagne ses expressions mais ne s’y abime pas. Le débat est à ouvrir.

 

c) argument et action de grâce

Entre la mort massive et du corps et du je, du corps empirique et psychique et son existence dans la mémoire de ceux qui l’ont connu, Breton laisse à l’imagination transcendantale la possibilité d’un  entre deux et ose former une sorte d’argument ontologique, un argument du meilleur en faveur du corps spirituel. Si mourir n’est pas crever et si la mémoire des morts, dans la sépulture, a quelques chose de sacré, alors il y a un devoir-être de celui qui n’est plus, un devoir de présence mystérieux plus que réel « Tu dois être, tu peux être, donc tu es »[36] Mais qui ? Quoi ? Nemo-Rien capable de devenir tous les autres et à nul autre pareil. Comme dans l’argument ontologique d’Anselme, l’action de grâce ne  saurait manquer à ses deux autres composantes : « élévation poétique vers un autre espace et discursivité à prétention de rigueur »[37]. Breton laisse chanter le cantique du soleil dans sa salutation à la mort comme lien universel (vinculum) qui ne peut se délier de la vie dont elle donne l’espérance.

Breton ne pratique pas l’écriture de la disparition. Des questions vives le brulent toujours de leur feu (il en écrit sur les sujets les plus divers avec une curiosité toujours neuve). Pourtant sa méditation est au plus proche de l’entreprise poétique de Mallarmé : "Autour de la tombe, l’absence du défunt associe une mémoire qui prend ses distances aux lignes d’une écriture qui, elle-même, tend à s’achever dans le dessin d’une figure. Mémoire, écriture et art ne sont pas seulement des expressions de la mort, mais la mise en œuvre en chacun d’une mort qui lui est immanente »[38].

L’écriture poétique s’intercale dans un discours de raison jamais suffisant, que Breton élabore avec jubilation jusqu’à la mort. Il lui revient de « transfigurer l’absence, tant par l’exubérance d’une figuration que par l’ascèse d’un portait de rien » (p.8).

 

2  Des enfants et des morts

Breton a vécu, il l’écrit, il le dit, des moments mélancoliques où il touchait la folie du doigt. Au retour de sa captivité et souvent après il se réveillait comme dans une agonie dont la mort précoce de sa mère, quand il avait cinq ans, n’a surement pas manqué d’ajouter aux blessures déjà là. Pourtant son écriture n’est pas une écriture de la disparition de soi. Même lorsqu’il écrit à la fin de sa vie des formes brèves sur l’énigme de la mort ou de la résurrection, l’écriture de Breton ne porte pas les marques d’un endeuillement.

C’est peut-être que Breton tout au long de sa vie a joué avec la mort sous la forme du mourir. A quinze ans il porte l’habit noir des passionistes. Habit de pénitence, ce noir habit est un habit de deuil, évoquant quelque chose du vieux rite funéraire de la profession monastique, quelque chose de l’habit des moines d’Orient, habit du deuil d’Adam. La spiritualité passioniste est ancrée dans la passion de la Passion. C’est dans cette passion que Breton a donné à la Passion du Christ un nouveau tour et au divin un autre visage, « visage de rien ». Dieu disparaît dans les autres. La passion s’élargit en compassion. Le port de l’habit noir est à rapprocher du rôle que joue le comédien. Il peut jouer tous les rôles : il est personne, mais ce n’est pas rien de jouer tous les rôles. Ce n’est pas rien d’avoir porté l’habit noir qu’il a su délaisser en temps voulu, parfois pour la cravate rouge, couleur de passion et pour lui de joyeuse compassion. Breton a porté avec allégresse et humour les habits des morts, lui qui avait une passion, une intrépide curiosité à aller voir ceux qui étaient près de mourir, ceux qui venaient de mourir ; une passion joyeuse qui augmentait sa puissance d’agir et de penser. Breton était à l’aise avec les corps fraîchement. Emu et tendre, vénérant, passant de l’agenouillement au baiser. Respectueusement silencieux et capable d’inventer le mot de la fin. Breton savait se tenir face à la dépouille des morts, non qu’il crût encore naïvement en une surexistence individuelle, il est ici dans le peut-être, mais parce que le mourir lui était étrangement familier, mais il savait que l’ultime mourir (grande mort de Rilke) ne pouvait, en dépit de l’éloge constant qu’il fait de l’imagination, l’imaginer. Breton savait enterrer les morts en entonnant le in paradisum au cimetière, ou en suivant jusqu’aux cendres ceux qui se font incinérer. Breton savait officier la dissémination présente ou à venir le « to adda ». Il savait mettre les morts dans le tombeau ou en pleine terre ou bien laisser aller au vent les cendres que savaient recueillir quelques lieux hospitaliers. Breton n’est pas un fossoyeur, c’est un sculpteur de sépulture : le mort n’habite pas notre demeure. Et puis Breton, dévot de Mt 25, d’un dieu qui tombe de la hauteur qu’on lui a souvent prêté, disparaît dans le plus petit…  La complicité aimante et fraternelle avec les enfants «  la mort n’achève rien mais permet que tout commence et qu’on soit toujours au commencement. Et s’il est une espérance qui habite à l’heure du déclin la mélancolie du vieillard, ce serait peut-être, en dernier hommage à la beauté du monde, de disparaître dans le regard d’un enfant »[39] .

Breton ne médite pas seulement sur la mort dans un mode d’expression qui compose la rigueur philosophique et des moments poétiques, sa vie est une sort de divine comédie du mourir qui l’apparente aux fous du Christ.

Breton triste parfois d’être né mais content d’exister n’est pas triste d’avoir à mourir parce que le temps de la fin, de la pauvreté d’esprit a toujours été au commencement.

 

3          Vers une poétique de la résurrection          

Qu’il s’agisse de la mort ou de la résurrection, Breton et Ricœur les appréhendent à partir d’une appartenance sans préavis et pourtant continuellement voulue de chacun. Au soir de leur vie, Ricœur dans la ligne calviniste du refus de tout culte des morts pousse le renoncement à toute représentation d’une vie après la mort au consentement à perdre toute présence de l’absent, Breton dans la dérision des savoirs et des pouvoirs, sans certitude et sachant que la mort rend impossible la présence du mort au monde, ne renonce pas à penser l’impossible. Ils se retrouvent dans leur commune générosité, grâce ultime d’une disponibilité à l’essentiel, comme les mystiques rhénans évoqués par Ricœur, (p.76), aimer en l’autre le vivant, aimer qu’il vive après moi, expérience faite de la bonté d’exister, le dévot de la croix et du dieu comédien et celui qui s’en remet à Dieu sans adhérer à une quelconque formulation de foi se retrouvent sur une aporétique de la résurrection. Ils s’accordent sur une résurrection horizontale qui passe par les autres proches (plus ou moins), par le transfert sur l’autre de l’amour de la vie, du travail de pensée, de la culture, par la relève d’autres que nous, dans l’inconnu de ce qu’ils feront. Dans leur agnosticisme, l’un et l’autre veulent faire confiance à une résurrection verticale qui ne peut prendre que forme de prière dans le tutoiement. Ricœur s’en remet à la mémoire de Dieu « Dieu, souviens-toi de moi », en schématisant (schématisme sans représentation) le présent éternel du souci divin. Dans le devenir de Dieu, toute existence peut-être schématisée comme manque en Dieu. Mais ce qui permet de séparer le mémoriel divin du détachement imparfait (p. 78) c’est la confiance dans la grâce « rien ne m’est dû Dieu tu feras de moi ce que tu voudras » (p. 79). Peut-être rien. On n’est pas loin du pur amour. Si la croix nous oblige à penser Dieu dans son impuissance, le néant actif de Breton pourrait nous permettre de penser Dieu autrement qu’en terme de mémoire et de volonté. En son excès d’excellence et d’agir, un tel néant ne peut pas ne pas préserver un je ne sais quoi de l’avoir été. Ces questions insistent pour chez Ricœur, tourmenté par la résistance au détachement entrepris. Rien n’est attesté, rien n’est assuré mais il s’obstine à penser le paradoxe du consentement à perdre sa psyché et de l’espérance de préservation en vie éternelle.

La justification de l’existence se substitue à celle de justification des pécheurs et démystifie la rédemption pensée en terme sacrificiel. Breton (Rédemption 2001) fait du mourir du juste, de tout juste l’exemple du mourir. Ils meurent en s’en remettant à Dieu comme s’ils étaient causes d’eux-mêmes. Toutefois Ricœur  professe une espérance : celle que chaque existence irremplaçable ders anonymes, des mal-aimés, des abîmés, de ceux qui ne laissent pas de traces écrites « makes a difference » en Dieu ; différence qu’on ne peut se représenter. Cette différence Breton la cherche du côté du Je énigmatique du Christ dans les plus délaissés des humains.

La question renvoie à celle du service. Ce que Jésus transmet lors du dernier repas, c’est son obéissance dans le service « Je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert » (Lc 22,27).

Ricœur convoque des textes concernant la mort violente de Jésus, inévitable, annoncée, accueillie. Il meurt au bénéfice des autres. Il donne sa vie pour la multitude (en rédemption serait un ajout !).

Mais Ricœur ne capitule pas, à Pâques 2005 il revient laborieusement à la question de la résurrection et commence un chantier. Olivier Abel en décrypte les orientations : « Il distingue les significations d’une résurrection comme preuve narrative et accomplissement d’une promesse, comme expérience printanière de reprise de la vie contre la mort, et comme limite eschatologique et espérance de ce qui n’est pas encore » (p. 18). Ricœur  trace des voies pour une poétique de la résurrection. Dans un texte non daté où il reprend des notes écrites à Ste Perrine, Breton pose la question du corps spirituel comme ce qui resterait quand il n’y aurait plus rien, énigme comme le souffle qui l’inspire et qui n’est en rien le souffle dont nous avons l’expérience. Il n’est rien de ce qui est. Les textes évangéliques toujours à interpréter de nouveau visent un mode la réalité qui échappe aux limites de notre intelligence. S’inspirant du bouddhisme Breton aime à penser cet irréductible, ni substance ni personnalité responsable, comme un parfum ou pourquoi pas, comme il nous l’a dit souvent un point d’interrogation.

Dans la gaité de l’insouciance, dans la confiance en l’impossible qui nous est nécessaire, Ricœur et Breton ont consenti à mourir. Nous pouvons les laisser mourir, car ils nous laissent, apaisés, nous inscrire dans leurs traces en pensant autrement, en faisant autrement, parce qu’ils n’ont cessé de nous dire ces mots bénis : « Vivez » et « Vive la joie ».


[1] Paul Ricœur  Vivant jusqu’à la mort, suivi de Fragments, Seuil, 2007 p. 95

[2] Paul Ricœur, ibid. p. 97

[3] Stanislas Breton, Vivant miroir de l’univers, Cerf, 2006

[4]  Paul Ricœur, Vivant jusqu’à la mort, op. cit.

[5]  Stéphane Mallarmé, Pour un tombeau d’Anatole, Paris, Seuil, 1990

[6]  Esprit, n° 6 - Juin 2007

[7]  Stanislas Breton, Vivant miroir de l’univers, op. cit., p. 39

[8]  Paul Ricœur, Vivant jusqu’à la mort, op. cit., fragment « Jacques Derrida », p 129-131

[9]  Stanislas Breton, Rien ou quelque chose, Flammarion, 1987.

[10] Stanislas Breton, Vivant miroir de l’univers, op. cit., p. 17

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 39

[14] Ibid., p. 73. Breton cite Luther : « Un chrétien est un libre seigneur sur tout et  n’est soumis à personne. Un chrétien est un esclave asservi en tout et soumis à tous. »

[15]  Ibid., p. 124

[16]  Ibid., p. 124

[17] S. Mallarmé, Pour un tombeau d’Anatole, op.cit..

[18] S. Mallarmé, Correspondance, Mai 1897.

[19] S. Mallarmé, Pour un tombeau d’Anatole, op. cit., p. 35.

[20] Ibid., feuillet 61, p. 159.

[21] Ibid., feuillet 6, p. 104.

[22] Ibid., feuillet 39, p. 137.

[23] Ibid., feuillet 40, p. 138

[24] Ibid., feuillet 79, p. 177.

[25] Vivant jusqu’à la mort, op. cit., p. 75.

[26] Ibid., p.76

[27] P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000, p.468.

[28] Vivant jusqu’à la mort, op. cit., p. 38

[29] S. Breton, L’être là, oraison funèbre d’Etienne Legendre, 2002.

[30] Ibid. p. 1.

[31] Citation d’André Malraux en exergue de G. Semprun, L’Ecriture ou la vie, Gallimard.

[32] S. Breton Rien ou quelque chose, Flammarion, p.152.

[33] S. Breton, Au-delà de la mort, p.8.

[34] S. Breton, Une voie pour penser la résurrection.

[35] S. Breton, Sur la mort, p. 8.

[36] S. Breton, Au-delà de la mort, p.5.

[37] S. Breton, Rien ou quelque chose, op. cit. p. 87.

[38] S. Breton Au-delà de la mort, p.7.

[39] Rien ou quelque chose, op. cit.,  p. 165