VARIATIONS DE FEMMES SUR LA CROIX
Pour Notre-Dame du Mont Carmel 16 juillet 2007
Tu es là
Marie
Au pied de la Croix
Auprès de toi
Des femmes nommées Marie elles aussi
Et moi avec elles à genoux
Et Jean seul homme parmi nous
Marie femme des douleurs
Prostrée
Recueillie en tes larmes
Tu pleures le fils qui va mourir
Le fils à l’agonie
Tu pleures de maternelles souffrances
Depuis longtemps tu l’as perdu
Le fils
Depuis le baptême reçu de Jean
Depuis qu’une ineffable filiation
Vient porter sur le fils de l’homme
La pointe de l’interrogation
Depuis qu’il est parti donner la Parole.
Depuis longtemps
Tu l’avais pressenti
Il se confondait avec la Parole
Il est la Parole.
Il l’était
la sera
Il est la Parole
Le corps de Parole
Qui accomplit l’Ecriture
En la livrant à la Parole
Il t’avait laissée
Délaissée
Toi veuve précoce
Pour donner la Parole
Ce fut sa manière à lui
De quitter Mère et Père déjà mort
Donner la Parole
Annoncer l’impossible
C’était là sa mission.
Depuis longtemps
Marie
Tu l’as perdu le fils
Il prend avec l’enfant
Les dimensions du monde
Le ventre de la mère
Il contient ce qui ne peut être contenu.
Pour toi
Marie
Le divin même en son éclat
Pour moi
Pour toi aussi
Pour toutes les femmes
Un visage minuscule
Ce sujet futur d’une histoire à venir
Un autre soi-même
Un autre soi
Soi-même comme un autre
Mais un autre tellement autre
Ces enfants que nous croyions les nôtres
Toute femme ne le sait pas
Toute femme ne veut pas le savoir
Toute femme ne peut pas le savoir
Depuis longtemps nous le savons
Toi et Moi
Et d’autres
Et tant d’autres
Ils ne sont pas les nôtres
Ces enfants que nous croyions les nôtres
Ils sont pour quelqu’un d’autre
Ils sont signe de croix
Exercice de dépossession
La relation
Tu nous l’apprends
Epreuve de pauvreté
Les liaisons des épouses et des mères
Epreuve de renoncement
Les amours de Madeleine
Mais le fils de l’humain
Celui que l’Esprit enveloppe
« Ton » fils
Comme on dit abusivement
Qui d’un enfant peut dire
« Mon fils » ?
Ton fils à toi
Marie
Il est pour tous les autres
Tous les humains de tous les temps
Fils de l’humain
Sa Mère celle qui écoute la Parole
De quelle pauvreté
De quelle chasteté
La Mère devient-elle Mère de la Parole ?
Fils de l’humain
Il invite au repos
Il se donne en sa Parole
Il entraîne au silence
Il donne des mots qui nous dépassent
Des mots pour la prière
Depuis longtemps
Tu savais
Sainte Mère de Dieu
Tu l’avais pressenti
Tu savais du non savoir du cœur
Que les enfants ne sont pas à leur mère
Ni pour elles
Je le sais moi aussi
Depuis longtemps
D’un non savoir de Mère
D’un non savoir du ventre
Savoureuse blessure
Nous sommes Toi et Moi
Marie
Avec les Marie
Aux pieds de la Croix
Jésus
Le fils en agonie
De la Mère dépossédée
Sur la Croix
Le Fils
Comme un moins que rien
Depuis quelques jours
Le chant d’Elisabeth
Jadis proféré
Désertait tes lèvres
Abîmée dans l’oubli
« Tu ne magnifiais plus »
Tu pleurais
Pleureuses nous sommes
Toi avec moi
Marie
Avec les Marie
Nous pleurons
« Voilà ce que tu as fait de Ta Mère
Une pleureuse »
Depuis longtemps
Marie,
Nous nous sommes préparées,
Nous les Mères
Nous les femmes
Toutes les femmes
A entendre la parole
A Toi adressée
Et la parole
A lui Jean
Le disciple aimé
La Parole
A Lui adressée
Par le mourant de la Croix
« Voici ton fils
Voici Ta Mère »
Meta-Parole
Celle qui déplace
La relation Mère-fils
Mère-fille
La relation Mère-enfant
C’est ainsi
Amen
Nous n’avons rien à dire
Nous sommes
Nous les Mères
Plus Mère que Mère
C’est ainsi
Amen
Il accomplit le vœu de toute maternité
Le Mourant de la Croix
Le vœu d’aimer toujours comme une mère
Même quand meurt
Cruellement
Injustement
L’humain dont elle a accouché
Il fallait cette Parole
A toi adressée
Marie
Par Lui
Le mourant de la Croix,
Pour survivre à notre détresse
A notre désolation
De te voir
Sur la Croix élevé
Jésus
Corps en son agonie
Inaccessible aux tiens
Au sentir de nos gestes
Aux baisers de nos lèvres
A nos murmures énamourés
Seul
Jésus
Sur la Croix élevé
Comme à Gethsémani
Seul
Pour la gloire de l’Unique nécessaire
Tu consens au Très-Haut
Avec Toi Marie
Mère bénie entre toutes les mères
Mère dépossédée du fils de l’humain
Mère de celui
Dont on écrit
Un jour plus tard
Dont on proclame
Qu’Il est de Dieu
Le Bien – Aimé
Avec toi
Marie
Avec les Marie
Dans une promenade en prière
Nous quittons le Golgotha
Pour gravir la montagne
Jusqu’au sommet du Carmel
La pensée me vient
- Tu sais que j’ai toujours des idées folles-
Que Là-Haut
Enfin
Nous serait faite la grâce
La Charité
De la Pitié
Nous la demandons si souvent
Au pied de la Croix
La pitié
Marie
Les autres Marie
Et moi
Seigneur prends pitié
Il nous serait donné
Là-haut au sommet du Carmel
De te soutenir
Jésus, dans le long travail du mourir
Nous serait faite la charité
De la pitié
Nous t’enlacerions avec piété
Laisse-nous être des « piétas »
De ton Corps épuisé de souffrances
Encore vivant
Juste avant qu’il meurt
Pour que nous l’enveloppions
Jusqu’au dernier passage
En sa toute dernière agonie
De baisers et de mots
Et de caresses aussi
T’effleurant d’essences de parfum
Chastement
Mais tu ne le veux pas ainsi
Anticipant le mot du Ressuscité
Tu nous laisses entendre :
« Cessez de vouloir me tenir ! »
Avec Marie
Avec les Marie
Avec Jean
Peut-être nous a-t-il suivies dans notre promenade en prière
Sur le Mont Carmel
Tu n’étais plus
Jésus agonisant
Juste une Croix nue
Verbe crucifié
Nada
Rien de Rien
Dans le silence du jour qui s’achève
Noir clair
S’assombrissant
Pour que se dessinent trois étoiles
Etoiles de la croix du Carmel
Où s’évanouit pour nous
La Parole crucifiée
Qui nous confond
Dans le triple silence
De l’inespéré
Toi Marie
Reine et Beauté du Carmel
Tu te fais toute orante
Pour rejoindre ton Dieu
Tu perds un fils mourant
Tu perds le fils mort
Moment de deuil
Que tu dépasses dans tes larmes
Tes larmes de douleur
Se mélangent à des larmes de joie
A tes larmes d’amante
Dieu se retire et s’absente
Tu le rejoints dans l’oraison
C’est là
Sous la Croix nue
La Croix du pur néant
Qu’en Toi se trouve désirée
Epousée
Toute l’humanité
C’est là
En oraison
Que tu reçois la virginité
Là que tu deviens
Mystiquement
Mère de tous les humains
En Jean condensés
Vierge tu le deviens
Dans l’oraison
Il est lointain et si proche
Le moment
Où en toi Jésus
A pris forme humaine
Tout enveloppé du souffle imperceptible
De la divine Tendresse
Sur le Mont Carmel
Rien que la Croix nue,
Lieu de la métastase
Espace de jeu de la métaphore
Porte de la métamorphose,
Toi
La « toute relative «
Marie
Tu déplaces tous les liens
Tu les transfères dans le divin
Où ils deviennent liaisons de feu